LA COPROPRIÉTÉ DU GRAND MARCHÉ DE NOUAKCHOTT
Alternative originale au droit au bail
Et opération-pilote pour l’introduction de la copropriété des immeubles bâtis en Mauritanie
Compte rendu commenté du voyage d’étude d’une délégation juridique mauritanienne à Nice, dans le cadre de la préparation d’un décret d’application de la loi n° 014/2017 du 12 juin 2017, en ses dispositions concernant l’instauration de la copropriété des immeubles bâtis
Publié en mai 2020
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Un code des droits réels a été promulgué en Mauritanie le 12 juin 2017, par la loi n° 014/2017[1]. Ce nouveau code concerne l’ensemble du droit des biens, à l’exception de la domanialité publique[2]. L’un de ses volets est l’introduction d’un régime de la copropriété des immeubles divisés par étages ou par appartements.
Ce volet a fait l’objet d’une spectaculaire première mise œuvre, à travers le nouveau Grand Marché de Nouakchott. Ce fut d’ailleurs le principal sujet d’étude et de travail d’une délégation mauritanienne, en séjour à Nice du 21 au 23 janvier2019. Les concertations et réunions préparatoires prévoyaient :
La délégation mauritanienne se composait de
Le président de la Commission de la réforme foncière, Monsieur Mohamed LEMINE DHEBY et le directeur Général adjoint des Domaines et de la Propriété de l’Etat, Monsieur El Meimoun SOUMBARA, ont pris en considération le souhait de l’Ordre National des Notaires de Mauritanie d’être davantage associé aux travaux concernant la mise en œuvre du code des droits réels. C’est ainsi qu’ils ont invité maître Thioye Mamadou SOW, Secrétaire général de l’Ordre National des Notaires de Mauritanie à contribuer à la mise en place du règlement-type de copropriété prévu par l’article 87 du Code des droits réels, avec le Grand Marché de Nouakchott comme opération-pilote.
De même, s’agissant du voyage d’étude sur la copropriété et la publicité foncière en France, le président de la commission, monsieur Mohamed LEMINE DHEBY, demanda que maître Thioye Mamadou SOW conçoive les axes de travail et de documentation. Pour ce faire, à Nouakchott, ce dernier s’est entouré des membres du GIE en formation Alaistithmar fi Muritania (Investir en Mauritanie) ; le travail sur le Grand marché de Nouakchott et la mission d’étude étaient d’autant plus intéressants pour ce GIE que ces points seraient ultérieurement intégrés à un symposium juridique international autour du Nouveau Code des Droits Réels, à Nouakchott.
A Nice[3], la délégation mauritanienne fut assistée par une avocate et une notaire azuréennes : maître Patricia SUID-VANHEMELRYCK, avocate à Nice, était chargée de préparer, de négocier et de coordonner les modalités du séjour et des réunions ; elle était associée à maître Elodie MAQUINE, notaire et conseil en gestion de patrimoine à Saint Raphael, pour la préparation d’une partie du dossier technique.
Les axes de travail retenus furent documentés, avant et après le séjour, à travers des comparaisons internationales de réformes récentes ou en cours concernant la copropriété des immeubles bâtis. En France, différentes rumeurs sur le contenu de la réforme de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété circulaient, à la suite de l’habilitation donnée par loi ELAN[4]. En Belgique, l’importante loi de réforme de la copropriété du 2 juin 2010[5] fut également consultée, ainsi que certains de ses commentaires à la suite de la mise à jour du 18 juin 2018[6].
Les membres du GIE en formation Alaistithmar fi Muritania souhaitaient également que la délégation mauritanienne puissent séjourner au Maroc. Ce pays est l’un des pionniers de la copropriété des immeubles bâtis en Afrique[7]. Les praticiens marocains de l’immobilier possèdent surtout une connaissance très fine de la pratique des ensembles immobiliers importants et/ou complexes[8], connaissances affutées par la présence d’une importante clientèle cosmopolite[9]. Mais des difficultés de calendrier ont contrarié le séjour marocain.
La tournée azuréenne de l’équipe mauritanienne avait deux principaux objets :
Il faut signaler une préoccupation exprimée par l’Ordre National des Notaire de Mauritanie. L’Ordre souhaitait que cette mission en France soit également l’occasion d’améliorer la fiscalisation des transactions immobilières en Mauritanie. En effet, l’Ordre des notaires presse l’Etat Mauritanien de siffler la fin de la transition tolérant la réception d’actes immobiliers par certains imans instrumentaires. Selon l’Ordre des notaires, du fait de l’interférence de ces imans, les transactions immobilières en Mauritanie sont dans leur ensemble sous-fiscalisées, dans des proportions scandaleuses. Même la Banque Mondiale et le Bureau de l’Union européenne ont souligné ce point dans des séances de travail avec les autorités mauritaniennes, insistant sur la nécessité d’élargir la collecte de la ressource fiscale locale. De plus, les interventions d’imans sont à l’origine de nombreux conflits fonciers. L’évolution suggérée par le notariat devrait permettre une amélioration appréciable, du niveau de sécurité juridique, avec une répercussion mécanique sur le climat des affaires. Cette évolution ne devrait pas avoir d’impact négatif important sur la condition des imans, puisque l’Etat leur octroie depuis quelques années une subvention périodiquement révisable ; de plus, une indemnisation spécifique pourrait être envisagée.
L’Ordre National des Notaires de Mauritanie insiste sur les besoins accrus de financement et de cohérence juridique qu’implique la mise en place effective de la décentralisation en Mauritanie, avec son corollaire que constitue l’impérieuse sécurisation du fichier immobilier.
Ces différents points pourraient aussi être intégrés au projet de Symposium international sur La Sécurité Juridique Foncière en Mauritanie après la promulgation du Code des droits Réels qui se tiendra probablement durant le premier semestre 2021, organisé en duo par la Cour suprême et par l’Ordre National des Notaires de Mauritanie.
Le président Christian MOUR, présentait l’avantage d’être au cœur des aspects judiciaires les plus brutaux de la copropriété, avec les saisies et/ou les ventes forcées de lots de copropriété au tribunal de grande Instance de Nice ; le TGI est devenu dans l’intervalle le tribunal judiciaire[10], sans changement pour ce qui concerne notre sujet. A titre personnel, s’ajoutait le fait que le président MOUR avait suivi les réformes ivoiriennes concernant justement la copropriété des immeubles bâtis.
Après la présentation de la mission par maître Thioye Mamadou SOW, le président Mohamed LEMINE DHEBY a indiqué où en étaient les appropriations des lots ; un gros tiers n’avait pas encore trouvé preneur. Il a insisté sur ce que ce marché, gigantesque à l’échelle de Nouakchott, faisait déjà l’objet d’une gestion provisoire par l’Etat-promoteur, depuis près de six mois. Mais il était important de mettre de l’ordre en ce qui concerne le cadre juridique, s’agissant en plus d’une opération-pilote pour le droit de la copropriété en Mauritanie. C’est donc dans le cadre de la préparation du décret et du règlement-type de copropriété que la délégation mauritanienne souhaitait effectuer un tour d’horizon des questions judiciaires autour de la copropriété.
En l’absence de décret, il y eut un débat sur la hiérarchie et l’effectivité des normes, à partir du contenu des articles 87 et 409 du Code des Droits Réels, textes dont il faut rappeler les dispositions (nous mettons en gras) :
Article 87. – Règlement de copropriété
Le syndicat des propriétaires adopte un règlement dit« règlement de copropriété » comportant la détermination, la fixation et la description de chaque partie commune, en vue d’assurer la bonne utilisation et la bonne gestion de l’immeuble, et ce, conformément à un règlement-type approuvé par décret pris sur proposition du Ministre chargé des Finances.
Il peut être ajouté à ce règlement de copropriété des règles spécifiques répondant aux caractéristiques de l’immeuble en copropriété, approuvées par l’ensemble des propriétaires à la majorité des présents ou de leurs représentants, conformément aux procédures fixées par le règlement de copropriété.
Ce règlement oblige l’ensemble des propriétaires ainsi que ceux qui acquièrent d’eux un droit sur l’immeuble.
Un exemplaire du texte du règlement de copropriété est déposé au siège de la moughataa dans la circonscription de laquelle est situé l’immeuble.
Un autre exemplaire est déposé à la Conservation de la propriété foncière lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, pour être mentionné sur les titres fonciers concernés.
Il peut être recouru à l’arbitrage pour les litiges résultant de l’application de ce règlement.
Article 409. – Système de gestion de la propriété foncière
Le dispositif du système de gestion de la propriété immobilière selon les dispositions du présent code sera fixé par décret.
Le décret et le règlement-type n’étant ni disponibles, ni prêts, pouvait-on néanmoins faire un règlement de copropriété du Grand Marché qui serait mis à jour par la suite, une fois survenu le décret ? Ne serait-ce pas là une invitation au contentieux ? Le Président Christian MOUR a estimé qu’un accord fortement majoritaire, sur un règlement de copropriété, pourrait s’appliquer aux minoritaires ; on s’inspirerait des principes dégagés dans d’autres pays et sur les dispositions de l’article 87, alinéa 2, du nouveau Code des droits réels ; de plus, les autorités publiques mauritaniennes pourraient aussi imposer la réception du règlement de copropriété, par une mesure réglementaire qui serait dans l’esprit de l’article 87 de la loi[11].
Des exemples étrangers montrent néanmoins que les choses sont souvent confuses en matière d’entrée en vigueur des textes sur la copropriété.
En France, après la loi du 10 juillet 1965, il avait fallu attendre jusqu’au 17 mars 1967 pour le décret d’application. Au Sénégal et au Maroc, après les grandes législations sur la copropriété, l’attente des décrets d’application fut encore plus longue[12]. Néanmoins, en brulant les étapes, un règlement de copropriété de l’opération-pilote que constitue le Grand Marché pourrait permettre d’arriver assez rapidement à un décret plus réaliste, par une sorte d’inversion de la norme.
Le président Mohamed LEMINE DHEBY a cependant souligné le fait que les commerçants avaient déjà signé des documents dans lesquels il était indiqué qu’ils devraient se soumettre aux textes légaux et réglementaires sur la copropriété : accepteraient-ils de signer en majorité un tel règlement, sans décret préalable, sans règlement-type ? En d’autres termes, peut-on se fonder uniquement sur la loi en l’absence du décret pour rédiger le règlement de copropriété du Grand Marché ? Le Président MOUR a prudemment estimé que la chose devrait faire l’objet d’une recherche ou d’une consultation de constitutionnaliste.
Sur consultation après coup, la réponse est, en prenant le droit français comme matrice : ça dépend ! En principe, la jurisprudence pose comme règle que, même en l’absence de texte d’application, les dispositions suffisamment précises d’une loi s’appliquent (et vice-versa)[13]. Mais certaines décisions (minoritaires) exigent qu’en plus d’avoir des dispositions suffisamment précises, la loi n’ait pas fait de la publication d’un décret la condition de son entrée en vigueur[14].
Le Président MOUR a enchaîné en nuançant les souhaits de simplification des mauritaniens pour ce qui est des tantièmes. En effet, dans une structure importante et complexe du type Grand Marché de Nouakchott, malgré la volonté de simplifier les points juridiques, on ne peut guère faire abstraction des différences liées à des facteurs de commercialités différents ; certains de ces facteurs sont facilement perceptibles, comme une plus grande proximité avec des équipements, une meilleure exposition ou encore un meilleur accès. Il faudrait en tenir compte de manière transparente et raisonnable, afin d’éviter un nivellement artificiel et excessif, source de frustrations.
Un grand moment de la réunion concernait les difficultés liées à l’occupation abusives des parties communes. Ces difficultés sont prévisibles dans la mesure où, dans les marchés traditionnels en Mauritanie, il y a une très forte propension à occuper le domaine public adjacent. Le précédent du marché voisin désormais voué à la démolition ne laisse aucun doute, à ce sujet. Maître Thioye Mamadou SOW a prôné une police stricte de la part du syndic, afin d’éviter la dégradation des lieux. Mais le directeur général adjoint des Domaines de Mauritanie a évoqué les risques de fronde des commerçants. Après débats, Le Secrétaire général Amadou DIALLO a retenu qu’il y aurait une tolérance d’environ un mètre de largeur d’occupation des allées, au droit de chaque commerce, à libérer quotidiennement, sous la responsabilité du propriétaire du commerce ou de son ayant cause. Il a fait un parallèle avec les difficultés que l’Etat mauritanien avait rencontrées avec les orpailleurs qui s’étaient installés de manière anarchique au départ ; par la suite, l’Etat fit face à une sérieuse résistance pour mettre un peu d’ordre et collecter les redevances.
Le Président MOUR a souligné qu’en ce qui concerne les voies d’exécution, l’expérience française des ventes forcées de lots de copropriété ne serait pas transposable à la lettre, du moins en ce qui concerne les lots du Grand Marché. En effet, une situation annonciatrice de saisie ou de vente forcée d’un lot de copropriété du Grand Marché serait forcément synonyme de cessation des paiements. Il faudrait alors combiner les procédures collectives avec les voies d’exécution ; dans la pratique française, les juges-commissaires choisissent alors en général une vente par adjudication amiable, voire une cession de gré à gré[15]. Or dans l’hypothèse du grand marché il existe une commercialité irréfragable.
Le Président MOUR a néanmoins nuancé son propos en indiquant qu’en France, une très importante proportion de voies d’exécution traditionnelles concernant les lots de copropriété emprunte désormais aux procédures collectives commerciales à travers la double influence du droit du surendettement et des procédures amiables[16] !
Dans sa double casquette de notaire expérimenté et d’enseignant à la faculté de droit, maître FABIANI était dans un rôle pédagogique qui aurait gravement fait défaut.
Il évoqua brièvement les réformes en cours en matière de copropriété en France, dans le prolongement de l’habilitation gouvernementale donnée par la loi ELAN[17]. Selon lui, il s’agissait d’ajustements limités, du moins sans commune mesure avec les bouleversements en cours en Mauritanie, même si l’on ne connaissait pas encore le détail, la Chancellerie ne laissant circuler que de simples rumeurs, sans aucun projet formel d’ordonnance[18].
Le premier sujet pratique abordé fut celui de l’établissement et du règlement des charges de copropriété, dans la situation transitoire, par une proportion de copropriétaires non encore optimale. Le Président de la Commission de la réforme foncière a indiqué que l’Etat avançait les fonds nécessaires. Mais, selon lui, lesdits fonds devraient être restitués par la suite, une fois la copropriété fonctionnant avec sa démographie optimale.
Les participants ne furent pas d’accord sur ce point. En termes de principe, ce devrait être à l’Etat mauritanien, à la fois promoteur et syndic provisoire, d’assumer définitivement l’écart de charges, à fonds perdus. C’est la position que la Cour de cassation française a retenue de façon convaincante, après des années d’incertitude, dans l’éventualité régulièrement problématique de l’imputation de l’écart de charges de copropriété dans une vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)[19], avant que les lots acquis par divers propriétaires ne soient achevés.
En Belgique, malgré les réformes successives du droit de la copropriété, y compris après l’importante loi du 2 juin 2010 et sa mise en jour de 2018[20], les clauses avantageant le promoteur en matière de copropriété restent sujettes à controverse[21].
Au Maroc, il existe des difficultés récurrentes dans les périodes de transition-transmission entre le promoteur et le syndicat des copropriétaires ; un exemple accessible en ligne est présenté dans le détail en ce qui concerne le complexe Tanger Boulevard[22].
Pour les bailleurs de fonds et pour les investisseurs, la dématérialisation et la sécurité des titres sont d’une importance primordiale. La dématérialisation permet d’accéder aux données plus aisément ; la bonne qualité des titres fonciers a un impact sur le volume et sur la qualité du crédit immobilier, avec une traduction aisément perceptible dans l’activité économique en général[23]. Ces points ont été soulignés par maître FABIANI avec insistance.
En réponse, les mauritaniens confirmèrent avoir mis en place des procédures et des compétences pour la fiabilité et la sécurité des mutations foncières ; mais cette sécurité reste largement réservée aux centres urbains, pour le moment. A défaut de titre, le foncier est carrément présumé relever de la domanialité publique, sauf possession d’état par la mise en valeur qui, à certaines conditions, permet une procédure de délivrance de titre foncier[24]. S’agissant de la dématérialisation et de l’accès des bailleurs de fonds aux informations sur le foncier, la Mauritanie a commencé un processus qui se manifeste par de nouveaux équipements et qui implique la formation des notaires, du personnel de la Direction des Domaines et du Guichet unique.
Mais il manque des géomètres-experts dans ces compétences, y compris leur prise en compte dans ce séjour d’étude, a objecté maître FABIANI, ajoutant qu’il faudrait absolument aussi un contact avec les services de la publicité foncière. Le Président de la Commission de la réforme foncière a acquiescé en indiquant que justement la délégation avait déjà pris un rendez-vous avec un géomètre-expert et que les mauritaniens avaient déjà un accord de la DGFIP pour une journée d’étude au Cadastre de Nice !
Compte tenu des sommes que pourrait nécessiter un sinistre, il a été convenu qu’un double système d’assurance serait imposé : une police collective prise par le syndic et une police responsabilité civile prise par chaque propriétaire ou exploitant, intégrant incendie, explosion et responsabilité civile à l’égard des tiers.
L’ordre des choses faisait de la rencontre au Cadastre de Nice l’escale la plus importante par le nombre d’intervenants et par la diversité des points examinés, l’angle étant essentiellement institutionnel. Le groupe a aussi analysé des exemples de copropriétés complexes, en rapport avec la mise en place du Grand Marché de Nouakchott. En plus, furent commentés des points concernant la coopération entre services et usagers en matière de publicité foncière, ainsi que les aspects fiscaux du cadastre.
La délégation mauritanienne fut reçue par plusieurs directeurs de services :
Une partie de la réunion, tout autant intéressante pour la pratique mauritanienne, était en « off ». Ne sont donc évoqués ici que les points officiellement abordés.
Après examen du texte mauritanien bilingue arabo-français, il y eut un petit échange amusant sur la question de la traduction des concepts français en matière de copropriété en langue arabe. Monsieur El MEIMOUN SOUMBARA, directeur général adjoint des Domaine de Mauritanie, a protesté gentiment en indiquant qu’une bonne partie des concepts de copropriété actuellement en vigueur en Europe avait historiquement pour origine le droit arabe !
Vérification faite, ce point est partiellement avéré. En plus de Bagdad qui a largement hérité des traditions babyloniennes et sumériennes, de grandes villes de caravansérail, arabes, perses ou turkmènes, connaissaient un régime élaboré de copropriété : Alep, Ispahan, Damas ou Samarkand… Mais la vérification est partielle car, après les sumériens, les grecs et les romains avaient aussi contribué au régime de l’immeuble collectif, avant les arabes. Dans la Rome antique, les réformes agraires de la loi Icelia (d’Iciluis) favorisèrent la construction en copropriété par étages par des plébéiens. En réalité, en dehors de nuances historiques négligeables, la copropriété est surtout la résultante entre la pression démographique et des limites géographiques urbaines qui poussent à la construction en hauteur. Ce n’est pas par hasard que le premier statut moderne de la copropriété des immeubles bâtis en Europe date d’une loi belge de 1924, qui inspira la loi française de 1938… Mais, en France même, de nombreuses coutumes prenaient déjà en charge la copropriété par étages ; des siècles auparavant, elles sanctionnaient le refus de contribuer aux charges communes[25]. A la coutume de Grenoble, souvent citée[26], on peut ajouter la coutume d’Auxerre[27], de 1561 qui déjà indiquait :
« Si une maison est divisée en telle manière, que l’un ait le bas d’icelle, et l’autre le dessus ; celuy qui a le bas est tenu de soutenir, entretenir les édifices estans au-dessous du premier plancher, ensemble iceluy premier plancher ; et celuy qui a le dessus est tenu soutenir et entretenir la couverture, et autres édifices qui sont sous icelle, jusqu’au premier plancher, s’il n’y a titre contraire ; et seront faits et entretenus à communs frais les pavez étans devant les maisons. »
Revenons à la rencontre au Cadastre de Nice.
En guise d’introduction, Monsieur François PLESSIER, directeur des Domaines à Nice, a procédé à une comparaison entre la région parisienne et la Côte d’Azur ; la première est complètement bâtie (plus de 90% des immeubles en copropriété), la seconde l’est moins, sauf dans les grands centres urbains de Nice, Cannes ou Menton. Cette comparaison a ensuite permis de se projeter, à plus forte raison, par rapport à l’hypothèse des villes mauritaniennes qui sont encore moins bâties que la Côte d’Azur.
Il a poursuivi en examinant certains moyens et supports techniques :
Monsieur François PLESSIER a insisté sur le fait qu’en France, malgré les vœux réitérés de simplification du droit depuis plusieurs décennies, la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété a sans cesse été complexifiée par de nombreuses réformes[29]. On note, en dernier lieu, l’importante loi ELAN et sa délégation gouvernementale pour des mises à jour par ordonnances ; il y a en outre un nombre impressionnant d’interférences tirées, entre autres, du code de l’urbanisme, du code de la construction, du code de l’action sociale et des familles ; s’y ajoute de plus en plus une véritable branche concernant les difficultés des copropriétés… Cela promet donc un phénomène de segmentation important du Code des droits Réels de Mauritanie, dans deux ou trois décennies, compte tenu de la très rapide croissance urbaine évoquée par la délégation mauritanienne.
Concernant les relations avec le public, il a précisé la Mission de délivrance du SPDC, Serveur professionnel de données cadastrales, avec accès sur habilitation, à travers :
Madame Nadia BROSSET, Monsieur Bernard NIVAGGIONI et Monsieur Jean-François SINTES, ont ensuite signalé l’importance fiscale de la publicité foncière et ont évoqué schématiquement certaines modalités :
Les participants ont discuté de l’adaptation au cadastre mauritanien des ressources satellitaires. On relève qu’en France, il existe une procédure de vérification par photos aériennes et/ou satellitaires, de plus en plus massivement utilisée, grâce à un accord avec l’Institut Géographique National et grâce au Conseil Général des Alpes-Maritimes pour ce qui est de Nice ; on parle alors d’ortho-photos. Une coopération entre les autorités mauritaniennes et Google-map pourrait peut-être accélérer les choses sur ce terrain ; de plus, il existe désormais, grâce à la démocratisation des drones, de nombreuses alternatives techniques largement accessibles.
Le Président de la Commission de la réforme foncière en Mauritanie, a, ensuite, évoqué la mise en place du Grand Marché de Nouakchott : 1187 commerces organisés sur la base d’une copropriété lancée par une promotion immobilière de l’Etat au départ, avec construction et numérotation de toutes les unités physiques appropriables ou relevant des parties communes. Il a présenté les préoccupations qui ont prévalu dans la conception et dans la réalisation du Grand Marché :
A titre de comparaison, les participants ont rapproché le Grand Marché et l’EDD concernant le stade de Nice Nord, comprenant des locaux commerciaux et des habitations. Cette opération niçoise est de moindre taille que celle de Nouakchott ; mais elle constitue une très intéressante comparaison par l’état d’esprit qui privilégie la copropriété pour des commerçants plutôt que le traditionnel droit au bail qui domine dans les relations privées en France[30], ou les conventions essentiellement précaires de type amodiation qui caractérisent l’activité commerciale sur les dépendances du domaine public.
La délégation mauritanienne a également tenu de petites réunions informelles pour faire le point, spécialement pour recouper certaines des suggestions découlant des séances de travail ou pour les préparer.
Lors de la dernière réunion, avant la rencontre avec le géomètre-expert, maître Elodie MAQUINE a insisté sur les points techniques renforçant le rôle des notaires dans la tenue du fichier immobilier en France. Il existe une très forte évolution liée à la dématérialisation et à l’accès désormais direct des notaires aux fichiers immobiliers[31] : les notaires peuvent opérer directement les saisies ; cela implique une responsabilité accrue et l’obligation pour de nombreuses études de se mettre techniquement à jour ou de se faire assister, parfois par des retraités de la publicité foncière.
Ce versant de la dématérialisation a aussi permis d’absorber le choc de la réduction drastique du personnel de la DGFIP.
En Mauritanie, l’annonce de la mise en place d’équipements pour la dématérialisation devrait permettre directement aux notaires, ayant une certaine ancienneté, d’assurer assez complètement les saisies ; la Direction des Domaine aurait alors essentiellement un rôle de contrôle et/ou de visa. Les formations en ce sens ont très timidement commencé…
Maître Patricia SUID a indiqué que le nouveau Code des droits réels n’envisage pas les questions du privilège des syndicats des copropriétaires, pour leurs créances sur les lots. Ce privilège pourrait néanmoins s’imposer par le visa de l’article 217 du Code des obligations et des contrats[32], bien qu’il ne s’agisse à la lettre que de cession de créance ; néanmoins, la cession d’un bien en copropriété est traditionnellement analysée comme une cession de biens et de droits constituant le lot ! Le recours à l’article 217 ne serait donc pas artificiel ; il serait en plus renforcé de manière coutumière en se fondant sur les droits étrangers comparables, spécialement le privilège occulte du syndicat des copropriétaires en France.
La mise en pratique de cette sûreté pourrait se faire à travers l’information, dans les règlements de copropriété, qu’aucune cession de lot ne pourra être opposable au syndicat des copropriétaires sans lui avoir été notifiée au préalable, spécialement en ce qui concerne l’éventualité des dettes du cédant. Mais ce sont les notaires qui en auront la plus grande responsabilité lors des ventes de lots ; ils indiqueront ou rappelleront le privilège aux parties et écriront ensuite au Syndic, en avertissant celui-ci de produire son état de créances dont le montant sera retenu sur le produit de la vente dans la limite des délais de prescription des dettes périodiques du « fournisseur »[33]. La publicité de cet aspect des choses, pour ce qui est du Grand Marché, aura une vertu pédagogique certaine.
Il faut insister sur le rôle préalable de la publicité foncière dans cette pédagogie : le règlement de copropriété pourra préciser les conditions d’opposabilité de la vente d’un lot au Syndic de copropriété.
En cas de problème, sur le plan judiciaire, les charges seront en général recouvrées par procédure d’injonction de payer selon les articles 249 et suivants du Code de Procédure civile, commerciale et administrative de Mauritanie.
C’est Monsieur Michel ZRIBI, géomètre-expert à Nice, qui a exposé les éléments traditionnels du calcul des tantièmes, avant d’examiner leur adaptabilité au cas du Grand marché de Nouakchott, en débattant avec les participants.
Il a fallu commencer par des distinctions concernant les situations virtuelles et les cas existants. L’exemple-type de virtualité étant la VEFA que le Grand Marché a exclu, pour des raisons de sociologie : on n’achète pas encore sur plan, en Mauritanie, même lorsque c’est l’Etat qui est promoteur !
Outre les éléments objectifs comme la superficie, le calcul des tantièmes répond à des coefficients de pondération, comme le rappelle l’article 5 de la loi française du 10 juillet 1965 :
Pour tenir compte du souci de simplification des concepteurs mauritaniens, il fut convenu que seule la situation des lots servirait de pondération, dans le grand Marché. En revanche, les modifications visibles apportées par les copropriétaires se verraient infliger des pénalités. Cette manière de procéder présente deux inconvénients qui ont été jugés acceptables : ces tantièmes de pénalités ne permettront plus un rapport parfaitement symétrique et, de plus, avec le temps, il y aura des variations, compliquant forcément les calculs. A cet égard, plusieurs des lots ont déjà été l’objet de modifications par leurs propriétaires, dans le grand Marché, comme s’il s’agissait d’une propriété individuelle traditionnelle. Le réveil risque d’être difficile quand ces changements vont se traduire par pénalités financières…
Il fut surtout retenu que les modes de calcul de pondération ou de pénalités seraient très visiblement publiés, de sorte que la transparence atténue l’amertume de voir une règle s’appliquer rétroactivement, avec néanmoins des possibilités de dispense de pénalité en cas de remise en état.
Les participants ont ensuite examiné les règles et usages concernant l’identification des lots ; des exemples de difficultés traditionnelles ont été évoqués, comme l’hypothèse fréquente du promoteur qui affecte des numéros de commercialisation qui ne coïncident pas avec les numéros de lots de copropriété. Dans le cas du Grand Marché, l’identification des lots conçue par l’Etat-promoteur servira directement pour la copropriété.
Quant aux règlements de copropriété, même si la pratique connaît des variations, la même structure de base se retrouve dans les pays qui pratiquent la copropriété en quotes-parts (parfois désignée comme système dualiste, par opposition aux condominiums anglo-saxons). On identifie spécialement les murs porteurs et les murs mitoyens, les couloirs, cours et escaliers, les façades, la grosse plomberie, les équipements collectifs ; les VRD ; toutes ces parties représentent, d’une façon générale, les parties communes, celles destinées par nature à l’usage commun, par oppositions aux cloisons intérieures, parties privatives…
Plusieurs points débattus ont préfiguré les problèmes qui risquent de se poser au Grand Marché
L’hypothèse de l’achat de plusieurs lots mitoyens devra constituer une sonnette d’alarme ; elle créé la tentation de privatiser les murs séparatifs sans avoir vérifié s’ils sont porteurs ou non ; elle conduit parfois à des comportements hégémoniques qui peuvent dégrader l’environnement collectif ou être source de frictions.
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