Commentaire de trois articles
Par Maître Patricia SUID, avocate au Barreau de Nice, suidpat@gmail.com
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Il faut indiquer au préalable que trois des membres de ce site ont travaillé sur les discriminations raciales, respectivement en qualité d’anciens Présidents de SOS RACISME 06 (Alpes Maritimes) ou d’avocate de cette association. Ce commentaire est donc, en partie, un retour d’expérience.
Le premier article, sur les testings, rend assez bien compte du retard de la France par rapport à d’autres pays comparables, tout en relevant des progrès indiscutables. Il souligne le recours croissant au testing scientifique par opposition au testing-piège ; encore que, dans certaines situations, on voit mal comment se passer de ce dernier (discothèques, locations). Par ailleurs, les vidéos réalisées lors des testings-pièges peuvent plus facilement être utilisées comme preuve dans le cadre d’un dépôt de plainte pour discrimination, infraction punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende, sans préjudice des dommages-intérêts en cas de constitution de partie civile.
Les 25 maliens du BTP
Le second article est remarquable. Il concerne une affaire dans laquelle le conseil de prud’hommes de Paris, approuvé par la Cour d’appel, inaugure l’emploi de la notion de discrimination raciale systématique, s’agissant de 25 maliens dans le secteur du bâtiment. L’un des intérêts de l’article, non expressément relevé, est l’intervention des AGS (assurances de la paie des salariés) ; il s’agit d’un organisme qui, en cas de « faillite » de l’entreprise, paye les salaires non versés ; en dépit de sa nature assurantielle, ce mécanisme est très largement perçu comme fondé sur des fonds publics ; ce point, comme toujours, était susceptible d’entraîner un raidissement compte tenu de la nationalité étrangère des victimes et du prétexte de l’appel d’air… L’autre intérêt de cette affaire est l’utilisation par les salariés de l’infraction de non-déclaration de salarié étranger à l’administration (art. L. 8256-2 du code du travail français et L. 1221-10 du code de la sécurité sociale). Du fait de l’esprit de la prohibition des doubles peines, les salariés qui prennent l’initiative d’une procédure dénonçant cette infraction sont protégés par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers (idem pour les violences de la vie en couple) : bon à savoir en pratique !
Le troisième article concerne une affaire absolument exceptionnelle tant par le nombre de parties (plusieurs centaines), que par l’intervention de l’avocat général et du défenseur des droits (qui a succédé à la HALDE depuis 2011), ou encore par la motivation. Il faut d’ailleurs dire quelques mots de certains points de cette motivation devant laquelle on aurait pu hésiter :
Ces décisions sont absolument à mettre à l’honneur de la Justice française ; et le commentaire à l’AJDA est à lire et à faire lire. De manière intéressante, il fait le lien avec l’action de groupe et examine de manière sévère l’action des associations anti-discrimination en France, en général. La cour d’appel de Paris et le CPH avant elle redressent ici une situation qui ne semblait pas réellement scandaliser grand-monde en France. Cet attachement à des discriminations institutionnelles est incompréhensible, par rapport à d’autres pays socialement et économiquement comparables, comme la RFA, le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne ; on songera que le problème des internes étrangers dans les hôpitaux reste une plaie au grand jour, après plus de 60 ans de scandale désormais…
Il ne faut néanmoins pas faire la fine-bouche devant ces progrès appréciables. Dans ce dossier, l’indemnisation des victimes est à la hauteur des préjudices subis : 5000 € pour le préjudice moral, 3000 € pour absence de formation ; les dommages et intérêts sont importants, jusqu’à 400.000 € dans certains cas. Un autre point remarquable est la sanction financière infligée à la SNCF qui devrait être assez dissuasive pour la plupart des dirigeants du secteur privé. Voici l’un des 848 arrêts du 31 janvier 2018 de la CA Paris.