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Le droit de l’insolvabilité en temps de Covid-19

A propos de :

Aurelio Gurrea-Martínez

Insolvency law in times of COVID-19

Company Lawyer, 2020, 41(7), pp 193-200

Note de lecture de Faustin Ekollo, docteur en droit, faustin.ekollo@gmail.com

Publié en fin juin 2021

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Une étude amplement unique dans son genre

La pandémie mondiale de Covid-19 a infligé un choc économique et financier extrême aux entreprises et aux ménages. Il en est résulté des bouleversements, au moins provisoires, dans pratiquement tous les domaines. S’agissant du droit de l’insolvabilité, l’auteur analyse et compare les mesures exceptionnelles prises face à ce sinistre gigantesque dans une quinzaine de pays : Australie, Allemagne, Espagne, Singapour, Colombie, Portugal, Russie, République Tchèque, Luxembourg, Nouvelle Zélande, Royaume-Uni et Etats-Unis, outre quelques considérations sur l’Union-Européenne et des remarques concernant l’Inde. Bien qu’il s’agisse d’un travail de droit comparé sur une matière d’actualité, et donc sans recul, cet article est particulièrement bien documenté. L’auteur réussit à présenter une articulation du droit de l’insolvabilité avec d’autres mesures, dans le cadre d’une sorte d’état d’urgence économique mondial. Il parvient à dégager des tendances générales, tout en signalant certaines spécificités nationales.

Face aux évidentes difficultés linguistiques, et en l’absence de précédent, il s’agit d’un tour de force[1].

Volet défensif

Dans un volet défensif, différents pays ont modifié provisoirement les règles relatives aux régimes de l’insolvabilité, prise en soi. Il s’est agi, le plus souvent, d’une suspension générale ou partielle des procédures collectives forcée. Parfois, même les procédures collectives volontaires furent suspendues, pour peu qu’il y eut un rapport avec la pandémie. Les règles et sanctions concernant la cessation des paiements s’en trouvèrent bouleversées, atténuées ou suspendues. Un cas d’atténuation remarquable est souligné : Singapour impose aux créancier un délai porté à 6 mois pour toute action en cessation de paiement, augmenté de 6 autres mois automatiquement, si le débiteur sollicite un délai ou une réorganisation ; de quoi rendre accommodant tout créancier.

Ce bouleversement se retrouve parfois également dans les procédures civiles, administratives ou fiscales de droit commun. De toute façon, les petites entreprises et la majorité des ménages n’auraient même pas eu les moyens de recourir aux techniques traditionnelles d’atermoiement ou de réorganisation de chaque pays ; de plus, les institutions auraient été débordées.

Diversité des solutions

Dans certains pays, les pouvoirs publics ont réussi à prendre des mesures relativement élaborées, spécialement en matière fiscale et comptables : suspension des exigences de ratio de solvabilité ou des règles concernant la perte du capital ; libéralisation à l’extrême des provisions ; relâchement des modalités et calendriers des déclarations fiscales ; engagements quasi-officiels de non-sanctions fiscales… Ces règles dérogatoires furent néanmoins prises à l’emporte-pièce, sans contours précis, avec des calendriers fluctuant et des modalités de communication qui ont parfois fait penser à ce que pourraient être les décisions en temps de guerre ! On relève des cas de suspension des droits des créanciers par communication à travers la grande presse. Les pouvoirs publics étaient ainsi assurés d’atteindre le plus grand nombre.

Au caractère parfois précipité, voire décousu, ces mesures étaient destinées à éviter l’engorgement des juridictions et autres institutions, lesquelles fonctionnaient déjà au ralenti. Mais, il s’agissait surtout de prévenir des mouvements de masse… Dans tous les pays, sans exceptions, des moratoires ou des suspensions de plein droit, aux modalités variées, souvent confuses, furent ainsi adoptés, évitant des tête-à-tête potentiellement explosifs entre cocontractants. La Nouvelle-Zélande a peut-être choisi la terminologie la plus évocatrice : Safe harbour et hibernation de dettes[2].  

Temporairement, quelques Etats ont généralisé la prohibition de la rupture des contrats ou exclu le recours aux pénalités[3].

Le constat reste néanmoins que le droit et les institutions juridictionnelles (et assimilées) n’étaient pas de taille à traiter, seuls, les effets juridiques et économiques d’une pathologie si massive et essentiellement inédite[4]. Dans tous les cas, la réalité de l’insolvabilité aurait grippé les ressorts socio-économiques. Face à ce risque, il a fallu prendre des mesures autres que purement défensives.

Volet offensif : les plans de relance

En effet, insiste l’auteur, il fallait beaucoup plus pour que les économies repartent. Il fait une série de suggestions face à la diversité des réponses nationales, visant surtout la qualité des plans de relance. Ces plans de refinancement-financiarisation des entreprises et des ménages sont le pendant offensif des dérogations aux règles juridiques de l’insolvabilité, faveurs fiscales comprises. Là aussi, il y eut diverses modalités selon les pays, les traditions ou les régions ; distribution directe de liquidités à certains ménages ; libéralisation extrême du crédit, souvent garantis par l’Etat ou par ma Banque centrale ; accès facilité à certains biens et services gérés par les collectivités locales ou les organismes publics…

France, absente de l’article

La France ne figure pas dans cette étude. Elle est néanmoins indirectement évoquée à travers les techniques financières quantitatives de l’Union européenne. En plus de ces dernières, les autorités européennes ont donné toute liberté aux Etats d’ignorer les articles 107 et 108 TFUE. Cette double-liberté a été massivement exploitée dans chaque pays européen sous la forme de garanties apportées par l’Etat ou par les banques centrales nationales[5].

On peut ajouter des éléments concernant plus spécifiquement la France. On note d’abord qu’une importante législation d’exception a été mise en place par ordonnances. Certes, les imperfections de cette législation d’urgence ont été signalées. En matière de loyer, par exemple, la portée de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020  est considérée comme confuse.

Au-delà du calendrier prévu par ces textes d’exceptions, les praticiens ont commencé à envisager des recours en oscillant entre l’exception traditionnelle de force majeure et les nouvelles armes issues du Code civil révisé en 2016 : article 1186 sur la caducité et article 1195 sur l’imprévision. Toutefois, la Cour de cassation a rendu un arrêt très commenté, réduisant les possibilités de recours au cas de force majeure. En effet, dans des circonstances qui rappellent forcément la pandémie, du moins, s’agissant du créancier, la Cour de cassation a délibérément opté pour une lecture exclusivement littérale de l’article 1218, al. 1er du Code civil ; le créancier ne peut donc pas se prévaloir de la force majeure ! La publicité PBI exclut que cet arrêt soit accidentel : Cass. 1re civ., 25 nov. 2020, n° 19-21060, PBI.

De manière plus spécifique à la pandémie, on a aussi noté la publication d’un important rapport parlementaire sur Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise[6]. En France, comme dans plusieurs autres pays européens[7], un fonds de solidarité a été mis en place, en plus des crédits garantis par l’Etat[8]. On observe que les mesures prises par les autorités françaises correspondent à presque tous les vœux de l’auteur de l’article (y compris l’article 13 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire). Cela peut justifier rétrospectivement l’optimisme de la direction des AGS :

Les entreprises françaises ont pour nombre d’entre elles été confrontées à un arrêt brutal de leur activité, sans pour autant faire l’objet d’une procédure collective du fait des aides gouvernementales destinées à enrayer les conséquences de la crise sanitaire[9].

Afrique absente

L’Afrique est totalement absente de l’étude commentée.

Disons néanmoins quelques mots de la zone Ohada. Les mesures prises furent souvent moins importantes que dans les pays cités dans l’article commenté, s’agissant de questions liées à l’insolvabilité[10], le professeur Abdoulaye Sakho évoque même, de manière certainement excessive, un désert[11]. En réalité, les mesures furent surtout largement informelles[12]. On trouve une excellente documentation d’ensemble dans les numéros 31, 32 et 33 du Bulletin Ersuma de la pratique professionnelle. De ces numéros en accès libre (32 et 33), sur notre sujet, on pourra consulter plusieurs articles tirés du numéro 32[13].

Pour la Mauritanie et ses voisins, également absents de l’étude commentée, en ce qui concerne les plans de relance et assimilés, il existe un panorama sur le présent site : Amadou DIALLO, Thioye SOW, Faustin EKOLLO, LE BUDGET DE LA MAURITANIE EN TEMPS DE COVID-19 — Loi de finances 2021 et comparaisons des présentations régionales : Algérie, Mali, Maroc, Sénégal.

On peut mettre exergue la position du Sénégal qui a choisi d’interdire le recours au licenciement pendant la pandémie, par une ordonnance n° 2020-13 du 8 avril 2020[14]. Précisément, cette législation exclut les licenciements pour motifs économiques ; elle n’autorise les licenciements pour motifs personnels qu’en cas de faute lourde. Bien que le commentateur au Bulletin Ersuma approuve chaleureusement cette mesure, il faut observer qu’ailleurs elle est parfois controversée[15]. Il reste que plusieurs grands pays l’ont adoptée sous forme de prise en charge extensive du chômage partiel. C’est le cas en France et en Grande-Bretagne ; l’Etat britannique prend le salaire total en charge de 70 à 80% selon les cas, à travers la législation dite Coronavirus Job Retention Scheme. On peut ajouter, à l’avantage du Législateur sénégalais, que l’Ordonnance sénégalaise est originale en ce sens qu’elle n’est pas une copie des mesures prises en France (d’ailleurs concomitante avec les premières ordonnances covid-19 françaises). Pour en terminer avec le Sénégal, on pourrait néanmoins se dire que la prohibition n’aura aucun effet si l’entreprise est techniquement en cessation de payement. Mais en recourant aux méthodes de débrouillardise du système informel, un entrepreneur sénégalais de bonne foi devrait pouvoir franchir le cap de la pandémie. C’est sans doute ce qu’a pensé le législateur sénégalais, justifiant le commentaire approbatif du professeur Mohamed Bachir Niang.

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  1. Voir néanmoins, avec des comparaisons moins ambitieuses : Marcel Willems, Douglas Hawthorn, Covid-19 Business Reliefs in the United Kingdom and the Netherlands: A Comparison, Business Law International, May, 2021, No. 2, 127

  2. William Porter, The Insolvent Trading Safe Harbour. Uncertainty Prevails, New Zealand Business Law Quarterly, December, 2019, 227

  3. Pour la France, parmi des dizaines d’articles, voir Roland Ziadé & Claudia Cavicchioli, L’impact du Covid-19 sur les contrats commerciaux, AJ contrat 2020 p.176 ; Julia Heinich, L’incidence de la Pandémie de coronavirus sur les contrats d’affaire : de la force majeure à l’imprévision, D.2020.611 ; Jean-Sébastien Borghetti, La crise du Covid, crash-test du droit des contrats, Revue des contrats 2021.1
  4. La grippe espagnole de 1918-1921 est souvent citée comme étant un précédent comparable ; les circonstances étaient néanmoins différentes : sortie de guerre et censure systématique ; urbanisation et mondialisation très moindres ; organisation et capacité sociales des nations limitées ; absence de coopération financière mondiale… Il reste que ce fut une hécatombe, 10 à 15 fois plus de morts qu’avec la pandémie Covid-19, alors que la population mondiale représentait moins de 50% de la démographie actuelle
  5. Francesco Martucci, La politique de la concurrence face à la crise de la Covid-19 : « faire vivre et ne plus laisser mourir », RTD Eur. 2020.551 ; N. Robins, L. Puglisi & L. Yang, State Aid Tools to Tackle the Impact of COVID-19: What Is the Role of Economic and Financial Analysis? European State Aid Law Quarterly 2020, 2, pp 137-149 ; Dominique Ritleng, L’Union européenne et la pandémie de Covid-19 : de la vertu des crises, RTD Eur. 2020.483 ; Benoït Coeuré, Les banques centrales pendant et après la pandémie de Covid-19, Rev. d’économie financière 2020/3-4, pp 269-290
  6. Rapport n° 615, du 19 mai 2021, de MM. François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi, au nom de la Commission des lois
  7. Par Michel Lascombe,  Xavier Vandendriessche, Covid-19 et finances publiques comparées : quelques propos conclusifs [Allemagne, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Union européenne, Royaume-Uni et USA],  Revue française de finances publiques, 2021. 93
  8. Yves Broussole, Covid-19 : les principales dispositions du décret du 9 mars 2021 relatif au fonds de solidarité pour les entreprises particulièrement touchées [D. n° 2021-256 du 9 mars 2021], Petites Affiches du 07 mai 2021
  9. Communiqué de l’AGS du 03 févr. 2021, défaillances d’entreprises en 2020, Bull. Joly Entreprises en difficulté, mars 2021
  10. Thomas Kendra, Johann Bensimon, Lédéa Sawadogo-Lewis, LE COVID-19 EN AFRIQUE ET SON IMPACT SUR L’EXECUTION DES CONTRATS, Penant 2020. 269 ; Boris Martor : L’OHADA apporte-t-elle une réponse juridique au Covid-19 ? note sous CCJA, 1er avril 2020, n° 054/2020/CCJA/PAT, portant adoption de nouvelles mesures pour les audiences de la CCJA, L’Essentiel Droits africains des affaires, 1er mai 2020 ; Robert Nemeudeu, Le financement des entreprises et la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, Bull. Ersuma n° 32, avril 2020, numéro spécial droit Ohada et Covid-19, accès libre ; Mbissane Ngom, Aides d’Etat et COVID-19 dans l’espace OHADA, ibid
  11. Abdoulaye Sakho, Covid-19 et intégration africaine : des difficultés à réglementer dans l’urgence, Bull. Ersuma n° 32, avril 2020, numéro spécial droit Ohada et Covid-19, accès libre
  12. Joseph R. Oppong, Yvonne A Dadson & Hilary Ansah, Africa’s innovation and Creative Response to Covid-19, African Geographical Rev. online 15 March 2021
  13. On trouvera, sous références dont le lien est Bull. Ersuma n° 32, avril 2020, numéro spécial droit Ohada et Covid-19, accès libre : Robert Nemedeu, Le financement des entreprises et la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID-19, Bull. Ersuma, op. cit ; Mamadou Ismaïla Konaté, Les procédures collectives OHADA, malades de Coronavirus, Bull. Ersuma, op. cit ; Filiga Michel Sawadogo, Les procédures collectives et la crise sanitaire actuelle liée à l’épidémie du COVID-19, Bull. Ersuma, op. cit ; Mamadou Ismaila Konaté, Brèves réflexions pour la prévention des difficultés de l’entreprise dans le contexte de la pandémie du COVID-19, Bull. Ersuma, op. cit ; Mbissane Ngom, Aides d’état et COVID-19 dans l’espace OHADA, Bull. Ersuma, op. cit ; Mohamed Bachir Niang, Le Sénégal instaure une protection spéciale de l’emploi et des salaires pendant la pandémie du COVID-19, Bull. Ersuma, op. cit
  14. Mohamed Bachir Niang, Le Sénégal instaure une protection spéciale de l’emploi et des salaires pendant la pandémie du COVID-19, Bull. Ersuma, op. cit
  15. Cristóbal Molina Navarrete, La pretendida “prohibición de cese laboral” en tiempos de COVID19: “vicios” de una “legalidad (administrativa) sin derecho”, Revista de Estudios Jurídico Laborales y de Seguridad Social (REJLSS), ISSN-e 2660-437X, Nº. 1, 2020 (Ejemplar dedicado a: Monográfico sobre la COVID-19), pp 84-102

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