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Covid-19 et médecines traditionnelles en Chine et en Afrique  D’un point de vue juridique
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Sort des bitcoins en cas de « faillite », vol, prêt, erreur, escroquerie, blanchiment, acquisition imprudente…

Panorama judiciaire : France, Espagne, Etats-Unis, Grande Bretagne, Canada, Brésil, Nouvelle-Zélande, Afrique (du Sud), Japon, Singapour, Chine

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Note de lecture de Faustin Ekollo, docteur en droit

Faustin.ekollo@gmail.com

Juillet 2021

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Quelle actualité des bitcoins ?

Le bitcoin est le cryptoactif par excellence. Il est évoqué ici de manière interchangeable avec la notion générique de crypto-monnaies.

On considère en général que le lancement du bitcoin date de 2008, immédiatement après la survenance de la crise économique qui avait fait naitre le spectre d’importants désordres monétaires. Un groupe de programmateurs, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, avait alors publié un document de travail intitulé : Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System[1]. Ce document comportait définitions et analyses de la nature des crypto-monnaies. Mais il mettait surtout en avant leur double-quête de désintermédiation et de non-interférence étatique.

Toutefois, très vite, les choses sont allées au-delà de l’orientation et des définitions voulues par les auteurs à l’origine du concept de Bitcoin. Dès le départ, la nature et le régime des crypto-monnaies ont été l’objet d’analyses divergentes dans une volumineuse documentation financière et économique. Les administrations fiscales et des règlementations spécifiques ont suivi, dans les principaux pays concernés, mettant fin à la double quête de désintermédiation et de non–interférence étatique[2].

Désormais, on constate une importante actualité judiciaire des crypto-monnaies. Le présent panorama présente une vue internationale couvrant 2020-2021. Les situations signalées concernent des hypothèses de dépossession, volontaire ou non, dans quelques pays représentatifs des cinq continents. Il faut en effet indiquer qu’en dépit des certitudes dont on a paré initialement la technologie blockchain, il existe une criminalité[3], ainsi que des défaillances de gestion ou de la technologie.

 

Des leçons

Trois leçons se dégagent de cette lecture, pour les investisseurs et pour les prestataires de services :

  • Les plateformes devront être clairement affiliées à une institution boursière, fiduciaire ou bancaire ; à défaut, les investisseurs doivent faire migrer leurs avoirs ou les liquider et les prestataires sont exposés, selon les pays, à des sanctions pénales ;
  • N’acquérir que des crypto-monnaies récemment créées (minage) ou dont l’origine est raisonnablement lointaine (deux transactions certifiées, au moins). Les crypto-monnaies mixées doivent être l’objet de toutes les précautions ;
  • Si possible, prendre des options d’assurance ; à défaut d’options, prendre langue avec une compagnie d’assurance, surtout si la mise est importante.

Bitcoin en France

Nos lecteurs ont peut-être eu connaissance d’un jugement du tribunal de commerce de Nanterre, du 26 févr. 2020, sur les crypto-monnaies. Ce jugement qui retient la qualification de biens fongibles, pour les bitcoins, a déchaîné des passions sur la toile.

Cette qualification de fongibilité implique que les bitcoins soient susceptibles de simple prêt à la consommation. La conséquence spécifique en est que les fruits sur opérations de « minage », créatrices de bitcoin (fork), appartiennent à l’emprunteur, sauf clause contraire.

D’un point de vue de droit comparé, la solution du tribunal de Nanterre semble actuellement isolée.

Sur la toile française, la qualification retenue par le tribunal de Nanterre fait souvent l’objet d’une assimilation inexacte avec l’importante décision de la CJUE du 22 oct. 2015, C-264/14, Skatteverket, en matière de TVA applicable aux bitcoins[4]. En réalité, la décision européenne retient la qualification de bien incorporel, ce qui n’implique rien en termes de fongibilité, même si, dans cet arrêt, l’expression monnaie virtuelle revient plusieurs fois. Rappelons, par exemple, que ceux des éléments incorporels du fonds de commerce, concourant à son identification, ne sont absolument pas fongibles. En revanche, selon l’exemple classique, une espèce de grain de blé ou de maïs représente des biens corporels fongibles.

De manière plus disciplinée que la cohue de la toile, des articles savants dans quelques revues juridiques aussi se sont intéressés au jugement de Nanterre[5]. Il faudra attendre la position d’une cour d’appel, au moins, pour pouvoir évoquer une tendance jurisprudentielle française significative.

Important arrêt espagnol sur le bitcoin 

Parmi les jurisprudences nationales remarquables sur les crypto-monnaies, il faut mentionner l’arrêt espagnol du Tribunal Supremo, Sala de lo Penal, n° de recurso 998/2018, décision n° de resolución:326/2019, 20/06/ 2019.

Les juges espagnols y opèrent un revirement par rapport à l’application traditionnelle des articles 110 et 111 du Code pénal espagnol. Ces textes concernent notamment les restitutions, en matière de procédure pénale[6]. Le Tribunal Supremo estime qu’il n’y a pas lieu à restitution de crypto-actifs aux victimes d’infraction dans la mesure où, selon lui, il ne s’agit ni de monnaie électronique ni de biens matériels (avec une difficulté de preuve sur l’acquisition que nous délaissons, par simplification)[7].

Selon nous, cette jurisprudence espagnole, avec une idéologie de non-restitution, est inconciliable avec l’article 1er du premier protocole additionnel CEDH sur le respect des biens. Certes, quelques annotateurs sur la toile espagnole-hispanique font valoir que l’arrêt du Tribunal suprême espagnol ne porte pas à conséquence, puisque qu’une indemnisation a été accordée. Mais cette analyse est contestable ; elle fait perdre à l’investisseur floué le bénéfice du temps passé (intérêts et accroissement) et celui de ses objectifs contractuels de départ[8].

Par ailleurs, un article publié dans un site de droit bancaire et financier signale la position de la Commission des marchés financiers en Espagne, Comisión Nacional de Mercado de Valores (CNMV), à la suite de la décision du Tribunal suprême. La Commission réclame, pour l’Espagne, la transposition de la 5e Directive européenne sur le blanchissement des capitaux[9], avec une inclusion explicite des crypto-monnaies. Selon cette institution, cela lui permettrait d’exercer son contrôle sur les Bitcoins en les intégrant officiellement aux flux financiers[10].

Bitcoin : Nouvelle-Zélande, Angleterre, Etats-Unis et Canada

Ces quatre pays sont regroupés en raison des affinités de raisonnement de leurs tribunaux, se fondant sur la common law. 

Nouvelle Zélande et Grande-Bretagne

 Une affaire intéressante, tranchée par la High Court de Nouvelle-Zélande, peut servir de point de départ des tendances judiciaires dans les pays de common Law, en matière de dépossession impliquant des crypto-monnaies : Ruscoe v Cryptopia Ltd (in Liquidation) [2020] NZHC 728. Cette décision concernait les droits des investisseurs dans le cadre de la « faillite » d’un gestionnaire d’actifs numériques[11].

Certes, il est établi en droit anglais que les crypto-monnaies sont des biens électroniques (digital assets). Ce point est repris par les écritures des demandeurs et par le jugement néozélandais, objet de la note précitée. Mais le débat se trouvait ailleurs. L’enjeu était de savoir si les crypto-monnaies relevaient d’un droit de créance ou d’un droit de propriété. En réponse, dans l’affaire néo-zélandaise, les écritures en demande citaient en exergue un intéressant rapport britannique de novembre 2019 : UK Jurisdiction Taskforce — Legal Statement on Cryptoassets and Smart Contracts. Les demandeurs citaient aussi plusieurs décisions de justice récentes concernant le régime (propriété) des cryptomonnaies. Il faut signaler, à ce sujet, l’affaire tranchée par la High Court à Londres, Queen’s Bench : AA v Persons Unknown[12]. Il y était indiqué, pour compléter la nature de biens électroniques des crypto-monnaies en compte, que celles-ci relèvent du droit de propriété et non d’un simple droit de créance[13].

La décision néo-zélandaise reprend le raisonnement complexe de la High Court de Londres. La plateforme mise en liquidation avait été victime de hackers qui ont fait disparaître des cryptomonnaies pour une valeur de 30.000.000 NZ$, environ 17.000.000 €. On peut présenter les choses comme suit (en épargnant au lecteur francophone les nuances et enjeux autour du droit du trust) : il faut considérer que les cryptomonnaies sont des biens électroniques ; mais, plus précisément, ceux-ci sont-ils des droits de créance ou des droits de propriété, au sens de l’article 2 du Companies Act 1993[14]. Plus finement encore, sont-ils détenus pour le compte des titulaires des comptes pris individuellement ou collectivement[15] ?!

Ces questions font apparaître les enjeux de l’identification des titulaires des comptes et/ou la mesure de leurs droits.

Ce jugement possède un important potentiel de transposition en droit comparé et en droit transnational. Sa qualification de propriété (par opposition à la notion de créance, qui certes relève aussi des biens, au sens de l’art. 1er du premier Protocole Add. CEDH) est séduisante; elle est familière à la common law, à partir de la règle rappelée par Lord Wilberforce’s dans une célèbre décision de la House of Lords (devenue en 2009 Suprême Court of UK) : National Provincial Bank Ltd v Ainsworth [1965] AC 1175 (HL).

Plus généralement,  le cœur du raisonnement est relativement convaincant en ce que le niveau élevé d’identification des cryptomonnaies les distingue des titres et instruments financiers. On peut apprécier la difficulté et la justesse de l’exercice[16].

Etats-Unis

Pour compléter l’analyse des tendances dans les tribunaux anglo-saxons,  on pense à plusieurs affaires délicates et originales, aux Etats-Unis. Deux d’entre elles étaient proprement extraordinaires par les montants concernés et par la créativité des parties prenantes : l’une en matière commerciale, l’autre au pénal (intérêts civiles, du moins), toutes les deux faisant l’objet de décisions ADD. Dans l’affaire commerciale[17], le droit boursier ordinaire était inapplicable, faute de fongibilité[18]. On remarque une qualification inverse de celle du tribunal de Nanterre !

L’affaire pénale, tranchée ADD[19], concernait des techniques de blanchiment d’argent. Le juge a estimé, à titre préliminaire, que le Bitcoin était en soi une monnaie du point de vue de la législation du District de Columbia :

Virtual currency bitcoin qualified as “money” under the District of Columbia’s Money Transmitters Act (MTA), which criminalized engaging in money transmission without a license; ordinary definition of money, i.e., a medium of exchange, encompassed bitcoin, which was a medium of exchange, a method of payment, and a store of value, the MTA adopted the ordinary definition of money, rather than the specialized meaning provided by the Uniform Commercial Code (UCC), and other virtual currency companies’ practice of obtaining money transmitter licenses from District’s Department of Insurance, Currency, and Banking (DISB) supported conclusion that MTA reached virtual currency. D.C. Code §§ 26-1001(10)26-1023(c)28:1-201(b)(24).…)

Vint ensuite l’affirmation qu’il s’agit de droits de propriété individualisables (c’est un paradoxe pour une monnaie) ; il incombait donc au Liquidateur d’effectuer des diligences pour parvenir autant que faire se peut à une identification des comptes victimes.

C’est enfin une sorte d’application de la règle pari passu pour tous les comptes d’une classe donnée. Ce traitement égalitaire est désormais une norme quasiment universelle en matière de « faillites ».

Une troisième et une quatrième affaires américaines n’ont pas encore été jugées, certes. Mais les éléments de la mise en examen présentent des caractéristiques singulières.

FBI et Department of Justice dans l’affaire BitMEX

Dans la troisième affaire, le FBI et le Department of Justice appliquent le droit américain dans des conditions particulièrement extraterritoriales[20]. Il s’agit d’une affaire BitMEX qui a plusieurs volets. Bien que la société exploitant BitMEX soit établie à l’extérieur, les autorités du Department of justice américain expliquent crânement, dans un communiqué du 1er octobre 2020, que[21] :

Acting Manhattan U.S. Attorney Audrey Strauss said:  “With the opportunities and advantages of operating a financial institution in the United States comes the obligation for those businesses to do their part to help in driving out crime and corruption.  As alleged, these defendants flouted that obligation and undertook to operate a purportedly ‘off-shore’ crypto exchange while willfully failing to implement and maintain even basic anti-money laundering policies.  In so doing, they allegedly allowed BitMEX to operate as a platform in the shadows of the financial markets.  Today’s indictment is another push by this Office and our partners at the FBI to bring platforms for money laundering into the light […]”.

Si l’on comprend bien, toute entreprise qui a des clients américains devrait s’établir aux USA, ou au moins appliquer le droit américain… A la vérité, on n’est pas trop surpris. En 2010, la Cour suprême américaine avait rendu un arrêt en matière financière et fiduciaire qui limitait un peu la tendance américaine à l’extraterritorialité ; il s’agissait de l’affaire Morrison v National Australia Bank Ltd. Mais le Congrès, par le Dodd-Frack Act, était venu contredire la position de la Cour Suprême, laissant les juridictions du fond apprécier l’effet substantiel sur les Etats-Unis pour appliquer le droit américain. C’est cette législation qui a permis à la justice pénale américaine d’atteindre la BNP dans le dossier irano-cubain[22].

Dans la présente affaire BitMEX, le Department of Justice va plus loin, et nous traduisons librement :

Le directeur adjoint du FBI, William F. Sweeney Jr., a déclaré : « Comme nous l’alléguons ici aujourd’hui, les quatre accusés, via la plate-forme de négociation de crypto-monnaie BitMEX de leur entreprise, ont délibérément violé la loi sur le secret bancaire en se soustrayant aux exigences américaines en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Un défendeur est allé jusqu’à se vanter que la société est constituée dans une juridiction en dehors des États-Unis parce que la corruption des régulateurs de cette juridiction ne coûte qu’une ” noix de coco “. Grâce au travail diligent de nos agents, analystes et partenaires avec la CFTC [Commodity Futures Trading Commission], ils apprendront bientôt que le prix de leurs crimes allégués ne sera pas payé avec des fruits tropicaux, mais pourrait plutôt entraîner des amendes, des restitutions et des peines fédérales de prison. »

L’application du RICO aux “mixers”

La quatrième affaire, montre qu’en plus des services fiscaux et de divers régulateurs fiduciaires[23], le Department of Treasury peut être une source directe de procédure pénale au titre de transactions professionnelles non déclarées sur des liquidités. En attendant la position des tribunaux, cette règle s’applique désormais à tous les Mixers de crypto-monnaies qui ne sont pas enregistrés au Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), bras armé du Department of Treasury[24]. Les mixers aussi appelés Tumblers, créent de nouvelles unités composées de plusieurs bitcoins ; ceux-ci restent dans la blockchain, mais deviennent beaucoup plus difficiles à suivre. C’est une technique d’anonymisation qui convient à beaucoup d’investisseurs, mais qui est particulièrement appréciée par l’industrie du blanchiment de fonds. Différentes autorités régulatrices seront alors tentées de faire jouer, en plus de leurs réglementations spécifiques, le très célèbre et redoutable RICO[25], Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act. Cette tendance répressive envers les mixers sur la base du RICO a commencé[26] ; elle sera suivie mondialement, à n’en point douter[27].

Canada

L’affaire QuadricaCX, de la société Quadrica Fintech Solutions Corp, est à part pour plusieurs raisons. D’abord, c’est l’une des plus importantes dans l’histoire judiciaire des crypto-monnaies puisque les pertes avoisinaient 250 millions $, pour plusieurs milliers de créanciers. Le gérant-créateur de la plateforme QuadrcaCX était brusquement décédé alors que sa gestion strictement personnelle ne permettait pas la mise en place d’un relai efficace, outre des indices d’irrégularités, voire de fraude. Après une tentative de redressement, le dossier aboutit à une liquidation. La Cour suprême de Nouvelle-Ecosse en arrêta le principe et l’affaire fut transférée devant la cour de justice supérieure de l’Ontario, en matière commerciale, pour les modalités.

Compte tenu du nombre de créanciers, le juge décida de retenir des critères pragmatiques, sur la base assez lâche du Bankruptcy and Insolvent Act canadien. Ainsi, il décida de retenir la qualification de propriété mais refusa de se lancer dans des qualifications plus fines. Il décida simplement de procéder par rattachement à des catégories connues pour appliquer un régime sans surprise à son dossier, avec éventuellement des adaptations : « analogized ». Ainsi, le juge a arrêté une date uniforme pour les conversions en expliquant que cela permettrait d’appliquer des procédures connues en matière de liquidation des sociétés de gestion de titres et d’instruments financiers ; dans le même sens ; il a exclu l’examen des situations individuelles de ceux des très nombreux créanciers qui prétendaient avoir des positions particulières. Selon le juge, cela aurait entrainé inutilement de lourds frais administratifs.

Nous avons commencé la présentation canadienne en disant que cette affaire était à part pour plusieurs raisons. Même sa conclusion est à part. Les cadres de l’Ontario Securities Commission décidèrent de rendre public un rapport sur l’affaire, contrairement à tous les usages. Et leurs conclusions furent sans nuances :

Whether they were aware of it or not, Quadriga’s clients were exposed to risks beyond fluctuations in crypto asset prices when they chose to trade on the Quadriga platform. Quadriga held and controlled their assets and misled them about the way those assets were being handled. Quadriga was not registered with any securities regulator. Cotton [CEO] took advantage of this situation, treating his clients’ assets as corporate or personal funds that he could spend, trade and use at will and ultimately depleting those assets to such an extent that he brought down the entire platform.

Leurs recommandations furent encore plus brutales ; ne pas confier de fonds ni de crypto-monnaies à une plate-forme :

    • non enregistrée auprès d’une autorité publique, sous-entendu, par exemple, la Commission boursière pour l’Ontario (Ontario Securities Commission) ;
    • qui n’affiche pas de moyens de contrôle externes et indépendants pour les risques de gestion ;
    • qui n’affiche aucun élément ou aucune option d’assurance ;
    • qui ne justifie d’aucune certification de l’origine des bitcoins.

En réalité, il s’agissait, pour l’essentiel d’un rappel de recommandations qui avaient déjà été faites en 2018[28], et nous soulignons :

The Manager conducts due diligence on each proposed Bitcoin Source prior to transacting with such Bitcoin Source in order to confirm its reputation and stability, including by conducting research on the executive officers and significant shareholders of the Bitcoin Source and the regulatory regime, if any, applicable to the Bitcoin Source. The Manager also confirms that each Bitcoin Source maintains appropriate KYC [Know Your Customer] policies and procedures and refuses to transact with any person or entity that is on a list of designated persons or entities established and maintained under applicable AML Regulation in the jurisdiction of the Bitcoin Source. […]

Although criminals may have been early adopters of bitcoin and other cryptocurrencies, law enforcement agencies are now working with cryptoasset forensics firms to track criminal activity on the blockchain. Some forensics firms also offer financial compliance software to cryptocurrency exchanges and others. The Manager will purchase financial compliance software to review coin sources […]

Ce rapport exprime une tendance règlementaire mondiale à la hausse, qui reprend souvent les recommandations de la FSA japonaise (autorité fiduciaire nationale) de 2016. Il entrainera des effets d’imitation, à l’international[29]. Déjà, à sa suite, au Canada, on a relevé plusieurs plateformes de crypto-monnaies enregistrées auprès des autorités boursières. En Amérique du Sud, une importante société brésilienne s’est enregistrée à la bourse de San Paolo, pour des opérations en ETF (en français, fonds négociés en bourse), sur une base exclusivement en crypto-monnaies[30], mettant en avant les préconisations du FSA japonais. On trouve le même mouvement aux Etats-Unis, en ce sens que les cessions-acquisitions hors plateformes enregistrées sont considérées comme violant diverses prescriptions pénales par le Securities and Exchange Commission (SEC), à laquelle les tribunaux donnent désormais raison[31].

 Singapour[32]

Il faut mettre en avant la décision Quoine Pte Ltd v B2C2, de la cour d’appel de Singapour. La particularité de cette affaire tranchée, le 24 février 2020, c’est l’absence du facteur humain. Un logiciel fut à l’origine d’une erreur, en ce qu’un ordre fut exécuté à 250 fois le prix du cours.

L’opération fut simplement annulée pour erreur, sur la base du droit commun (common law et equity)[33].

Brésil, une actualité juridico-judiciaire du bitcoin

Faisons exception pour le Brésil, en évoquant le cadre juridique général des crypto-monnaies, pour mieux apprécier ensuite un aspect original de l’actualité véritablement judiciaire.

Au Brésil, la généralité du droit des crypto-monnaies est marquée par une proposition de loi déjà relativement ancienne (4 ans). Mais ce texte déposé par le député Ribeiro Aureo est relativement consensuel et est régulièrement évoqué par la grande presse. Sa version finale devrait être présentée entre septembre et novembre 2021. La proposition de loi brésilienne frappe le comparatiste en ce que ses motifs s’appuient essentiellement sur des doctrines juridiques internationales ou de droit comparé : droit japonais, considérations exposées par la Banque Centrale Européenne, littérature de L’Electronic Frontier Foundation, une ONG américaine. Le constat de départ est que les activités de monnaie virtuelle n’ont pas (encore) le potentiel de déstabiliser le système financier d’un pays[34]. Elles sont en revanche des sources éventuelles de fraude fiscale, d’infractions, y compris de blanchiment de ressources criminelles et d’abus impliquant des consommateurs. Dans ces conditions, la proposition de loi 2303/15[35] tend à soumettre l’activité des cryptomonnaies au contrôle de la Banque centrale et au Conselho de Controle de Atividades Financeiras (Coaf), outre une modification des textes concernant la protection des consommateurs et ceux concernant les infractions financières.

Sur le dernier point, le Parquet fédéral brésilien a demandé des modifications de cette courte proposition de loi, dans le sens d’une aggravation des mesures pénales. Il s’agit de faire face, efficacement, à la tentation des pyramides financière (pyramide de Ponzi) qu’offre le système Bitcoin[36]. Ces autorités estiment par ailleurs qu’une bonne partie de l’arsenal répressif s’applique déjà aux crypto-monnaies considérées comme moyen ou l’objet d’une infraction.

C’est en ce sens que ces autorités judiciaires brésiliennes ont récemment mis en pratique, de manière spectaculaire, une saisie internationale de bitcoins dans le cadre de la coopération judiciaire Brésil-Etats-Unis. Le 04 novembre 2020, le Department of Justice américain a tenu à donner un important écho à cette opération qui portait sur 24 millions $ : U.S. Seizes Virtual Currencies Valued at $24 Million Assisting Brazil in Major Internet Fraud Investigation.

Japon : peut-être le pays le plus « avancé »

En matière de crypto-monnaies, c’est la règlementation japonaise qui est la plus imitée. En Amérique latine, elle est expressément citée dans les motifs de plusieurs textes législatifs. C’est aussi le pays avec la plus grande proportion d’investisseurs dans le secteur des crypto-actifs. On pourrait ajouter que c’est au Japon que fut ouverte la liquidation de MT. GOX. Cette plateforme gérait entre 60 et 70% de la totalité des transactions de crypto-actifs au Monde.

L’actualité judiciaire en matière de crypto-actif y est relativement abondante. Si l’on s’en tient au thème de la dépossession de Bitcoins, une décision du tribunal de district de Tokyo doit être signalée. Elle retient la responsabilité pénale d’un médecin et d’un cadre de la préfecture de Tokyo qui ont acquis, en connaissance de cause, selon le Tribunal, des bitcoins qui auraient été dérobés. L’originalité de la décision, c’est qu’elle semble assimiler l’achat imprudent de Bitcoins (au marché noir) à un achat en connaissance de l’origine infractionnelle[37].

Afrique du Sud :  méga-prédation de plus de 3,5 milliards $

La presse financière internationale, la presse spécialisée en crypto-actifs et, parfois, la grande presse, ont signalé que le fonds sud-africain, Africrypt, s’était volatilisé avec plus de 3,5 milliards $. Les deux gérants et fondateurs du fonds, les frères Cajee-Raees, ont disparu, ne répondent plus au téléphone et le site Africrypt est déconnecté[38].

La Police et le Parquet anticorruption sud-africain sont actuellement en train d’examiner les questions de procédures et de compétence, dans cette affaire. En attendant, les avocats des investisseurs ont pris des mesures conservatoires. L’une est la diffusion internationale de listes d’identification des bitcoins afin de prévenir d’éventuels acquéreurs et de les constituer, le cas échéant, acquéreurs de mauvaise foi. L’un des problèmes est toutefois que de nombreuses positions étaient liquides[39]. Il y en a d’autres ; même pour les crypto-monnaies qui n’avaient pas été liquidées, les deux frères qui sont des spécialistes ont le temps de leur côté. Ils pourront choisir des bitcoins mixers aux quatre coins du Globe pour atténuer le caractère identifiable de leur larcin.

Chine 

La presse internationale a signalé une importante actualité des mois de mai et juin 2021 en Chine, concernant les crypto-monnaies. Il s’agissait de la prohibition, par les autorités publiques, du minage, activité à forte consommation d’énergie. Pour le reste, l’état du droit chinois est beaucoup plus complexe que ce qu’écrit, trop souvent, l’édition anglo-saxonne[40].

Un article tiré d’une revue juridique chinoise présente une impressionnante synthèse de la situation judiciaire et juridique des crypto-monnaies en Chine[41]. Après avoir minutieusement résumé les controverses tirées de la littérature financière et économique depuis 2008, quant à la nature des crypto-monnaie, le texte rappelle les positions d’institutions financières internationales comme la Banque internationale des règlements, le FMI ou l’Autorité bancaire européenne. Il présente aussi les positions de plusieurs pays : Allemagne, Bolivie, Russie, Etats-Unis… L’auteur effectue ensuite l’exercice unique d’examiner un maximum de décisions de justice et de sentences arbitrales accessibles en Chine sur cette question.

Le moins qu’on puisse est que cela va dans tous les sens, même après les mesures règlementaires restrictives dont le secteur a été frappé.

En effet, l’auteur indique qu’un décret interministériel précise à la fois la nature et le régime des crypto-monnaies. L’Etat chinois reconnaît les crypto-monnaies comme biens susceptibles d’appropriation et de commerce. En revanche, il ne les reconnaît pas comme monnaie alternative ou virtuelle. Dès lors, toute opération purement financière impliquant les crypto-monnaies en tant que telles, y compris toute opération de change ou assimilée, est nulle d’ordre public (on pense à l’exception de jeu de jadis, en France).

Il existe une certaine résistance jurisprudentielle à ce texte à travers plusieurs voies ; clauses de compétence singapouriennes ; clauses d’arbitrage doublées de clauses de confidentialité ; utilisation de très nombreuses zones-frontières par les juges pour considérer que l’usage des crypto-monnaies dans les circonstances ne relève pas des interdits réglementaires.

Du coup, la jurisprudence, y compris arbitrale (quand on la connaît) est très casuistique, voire tatillonne. L’auteur est critique de la position gouvernementale, même si certaines sources l’expliquent par le lancement, depuis 2017, du Digital Currency Research Institute par la Banque Centrale de Chine, Institut destiné à parer à toutes les hypothèses dans le cadre du lancement du RMB électronique.

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  1. https://bitcoin.org/bitcoin.pdf
  2. Voir Maxime Julienne, Les nouvelles formes de monnaie, Revue des contrats 2020.133 

  3. Arnaud Le Teurnier, Crypto-actifs et droit pénal : Un objet juridique non identifié au service de la criminalité financière et organisée, AJ Pénal 2020.506 ; voir aussi le thème désormais important du darknet-darkweb : Xavier Laurent, Retour d’expérience sur le premier démantèlement d’une plateforme francophone du darkweb : le dossier Black Hand — Dalloz IP/IT 2021. 79 — 22 février 2021 ; voir enfin la petite note anonyme dans le Lamy Droit du financement § 2903 : le bitcoin, objet ou instrument d’infractions
  4. J. Huet, Le bitcoin dont la légalité paraît admise est une sorte de monnaie contractuelle, note sous CJUE, 22 oct. 2015, no C-264/14, Skatteverket, Revue des contrats 2017. 54
  5. Sophie Moreil, Le tribunal de commerce de Nanterre prend position sur la nature du prêt de bitcoins, note sous : T. com. Nanterre, 6e ch., 26 févr. 2020, no 2018F00466, SDE Bitspread Ltd c/ SAS Paymium, M. Barthelet, prés.,   Gaz. Pal. 9 juin 2020 ; Gaëlle Marraud des Grottes, Bitcoin, fork et prêt : un arrêt [jugement] structurant vient d’être rendu, Lamy droit de l’immatériel n° 168, 1er mars 2020
  6.  Code pénal espagnol, livre I, titre 5e, chap. 1er : De la responsabilidad civil derivada de los delitos y de las costas procesales
  7. Pedro Padilla Ruiz, Los Bitcoins no se restituyen a la víctima de estafa al no ser dinero. Giro radical de la doctrina del Tribunal Supremo, Revista Aranzadi Doctrinal,  Nº. 10, 2019;commentaire de Tribunal Supremo, arrêt n.º 326/2019, de 20 juin 2019 ; Montiano Monteagudo y Francisco Javier García, La Primera Sentencia sobre Bitcoins de Nuestro Alto Tribunal, Actualidad Jurídica Uría Menéndez / ISSN: 1578-956X / 52-2019 / 128-135,
  8. . José Francisco Sedeño López, Naturaleza jurídica de las criptomonedas (Análisis de la STS de 20 de junio de 2019, rec. núm. 998/2018), Estudieros financieros, Nº 442, 2020
  9. En France, la 5e Directive anti-blanchissement a été transposée par une importante Ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
  10. Roberto López Ávila, Los Bitcoins como activo financiero bajo control de la CNMV y el retraso en la Transposición de 5ª Directiva sobre Blanqueo de Capitales, site RedAbafi, 28 janv. 2021
  11. Matteo Solinas, Investors’ rights in (crypto) custodial holdings: Ruscoe v Cryptopia Ltd (In Liquidation), Modern Law Rev. 2021, 84(1), pp 155-167
  12. Kelvin F.K. Low, Bitcoins as property: welcome clarity? Law Quarterly Rev. 2020, 136, pp 345-349
  13. … Plus précisément, d’un instrument ou d’un titre financier, pour reprendre la terminologie en vigueur en France depuis la Directive (les directives en réalité) « Collateral » [avec ou sans accent ou e selon que l’on francise ou non ] ; on en trouve une énumération à l’article L 211-1 C. mon & fin
  14. L’article 2 du Companies Act 1993, NZ, concerne les définitions : “ property means property of every kind whether tangible or intangible, real or personal, corporeal or incorporeal, and includes rights, interests, and claims of every kind in relation to property however they arise”
  15. Ici apparaissent des nuances qui ont troublé des générations d’étudiants français en droit comparé à Londres, en Law of Contract : ownership or property ? Un indice de cette subtilité apparaît dans l’expression ownership of property que l’on peut approximativement décrire comme la titularité d’un droit de propriété. Cette subtilité doit être complétée par la notion de Possessory Rights qui peut être rapprochée de la possession du droit français des obligations, avec toutes ses nuances
  16. Bonnie Holligan, Commodity or propriety? Unauthorised transfer of intangible entitlements in the EU emissions trading system, Modern Law Rev. 2020, 83(5), pp 979-1007
  17. Bidi Capital v Bulbul Investment, devant le Dictrict Court de Georgia, Atlanta, 1-18-cv-3392-AT- 03/11/2020 (11 mars) 
  18. On note, en sens contraire, une application du droit boursier en vertu de l’appel au public, mais sans question de fongibilité : 19-cv-05244 (United States District Court for the Southern District of New York, October 21, 2020) : SEC press release 2020-262, SEC Obtains Final Judgment Against Kik Interactive For Unregistered Offering ; on ajoutera seulement qu’en plus du droit pénal boursier de la SEC ou des contrats à termes, les plateformes de bitcoin peuvent aussi relever du droit pénal des activités bancaires ou fiduciaires et du célèbre texte anti-racket et corruption RICO
  19. Disctrict Court of Columbia : United States of America v Larry dean Harmonn, Crim. No 19-cv-395, 07/24/2020 (civ. Action)
  20. Voir sur ce site Harry Sandick & Jeff Kinkle, The Global Reach of US Law Enforcement, note de lecture
  21. Founders And Executives Of Off-Shore Cryptocurrency Derivatives Exchange Charged With Violation Of The Bank Secrecy Act
  22. Voir dans ce site une note de lecture sur Harry Sandick & Jeff Kinkle, The Global Reach of US Law Enforcement
  23. Securities & Exchange Commission (SEC) ; Commodity Futures Trading Commission (CFTC) ; Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) ; Federal Reserve System (Fed) ; Office of the Comptroller of the Currency (OCC) ; Financial Industry Regulatory Authority (FINRA)
  24. New York Law Journ. May 17, 2021, Prosecutions of Bitcoin Mixers Raise Crypto Privacy Questions
  25. Andrew Robert Klimek, Reinvesting in RICO with Cryptocurrencies: Using Cryptocurrency Networks to Prove RICO’s Enterprise Requirement, 77(1), Washington and Lee Law Rev. 2020, pp 509-550 [accès libre]
  26. Pour une sanction de 121 mois de prison, dans une affaire confuse (blanchiment et/ou escroquerie ?) par le tribunal du Eastern District of Kentucky voir Department of Justice, January 12, 2021, Owner of Bitcoin Exchange Sentenced to Prison for Money Laundering
  27. Pour des présentations du RICO en français : Horatia Muir Watt, Jonathan Pratter, RJR Nabisco : la « focale » de l’action individuelle du private attorney general, Cour suprême des États-Unis, 20 juin 2016, n° 15-138, Rev. Crit. DIP 2017. 70 ; H. Muir Wat, Chevron, l’enchevêtrement des fors, Rev. crit. DIP 2011. 339 ; Voir, pour une introduction procédurale, Katja Sontag, La justiciabilité des droits de l’homme à l’égard des sociétés transnationales, in L Boy, J.-B. Racine, F. Siiriainen (dir.) Droits économiques et droits de l’homme, Larcier 2009, pp 583-595.
  28. February 21, 2019 Ontario Securities Commission Bull. Issue 42/08
  29. https://www.osc.ca/quadrigacxreport/
  30. Parmi de nombreux articles en ligne de la presse brésilienne, Valor Investe du 13 mars 2021 : Bolsa brasileira terá primeiro ETF de bitcoin da América Latina
  31. SEC press release 2020-262, SEC Obtains Final Judgment Against Kik Interactive For Unregistered Offering
  32. d’Alexander Loke, Mistakes in algorithmic trading of cryptocurrencies, Modern Law Rev. 2020, 83(6), 1343-1353
  33. IN THE COURT OF APPEAL OF THE REPUBLIC OF SINGAPORE [2020] SGCA(I) 02
  34. Les motifs de la proposition de loi du député brésilien renvoient à de petites notes de bas de pages contenant les nuances évoquées par les rapports de la BCE
  35. Voir la proposition de texte avec son exposé des motifs : PL 2003/2015
  36. https://cointelegraph.com.br/news/chamber-of-deputies-holds-audience-to-debate-the-performance-of-the-atlas-quantum-pyramids-and-bitcoin-investment
  37. CoinTelegraph, Aug. 19, 2020, A Japanese Court Just Ordered the Nation’s First Cryptocurrency Seizure
  38. Bloomberg, 23 juin 2021, Cryptocurrencies — South African Brothers Vanish, and So Does $3.6 Billion in Bitcoin ; The Economic Times (India) online du 27 juin 2021, S.Africa crypto exchange brothers disappear after $3.6 bn vanishes from platform, lawyers say ; MoneyWeb Crypto, 23 juin 2021 :Africrypt ‘hack’ of nearly R54bn dwarfs Mirror Trading
  39. MoneyWeb Crypto, 23 juin 2021, précité
  40. Su Yu, The Model, Structure and Mechanism of Digital Token Regulation, Oriental law 2021, n3, 77, Code article: 1674-4039-(2021) 03-0077-94 ; Li Wei, Bitcoin’s Criminal Risk and Bitcoins Regulations, South China Sea Law 2020, n 3 [articles en Putonghua, traduits électroniquement] ;
  41. Wang Jin, From The Legal Nature of Bitcoin To talk about The Ruling Ideas on Bitcoin Dispute, Arbitration in Beijin 2020, n 1, 75, Code:CLI.A.292288 (EN), [article en Putonghua, traduit électroniquement]

 

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