Thioye SOW
Notaire à Nouakchott, Secrétaire Général de l’Ordre National des Notaires de Mauritanie
Patricia SUID-VANHEMELRYCK
Avocat à Nice
Mise à jour
La circulation internationale des divorces et autres actes ou décisions concernant l’état des personnes a pris désormais un tour massif. S’agissant de la circulation du nouveau divorce français sans juge, le très intéressant commentaire du professeur Souyama Ben Achour, à propos d’un jugement du TPI de Tunis[1], donne l’occasion d’élargir le débat et de proposer des solutions opérationnelles aux praticiens.
Il s’agit essentiellement de faire face aux difficultés que n’avait pas envisagées la circulaire du 26 janvier 2017 La Chancellerie y précise (fiche n° 10, p. 25/30) les conditions de la circulation internationale ou communautaire du nouveau divorce extrajudiciaire français des articles 229-1 et suivants du Code civil.
Mais alors que les deux signataires de la présente analyse venaient de terminer leurs discussions ainsi que les navettes du projet d’article, coup sur coup, la matière s’est enrichie :
Le texte qui était déjà bouclé a donc été légèrement remanié.
Dans le contexte actuel de difficultés de circulation internationale des divorces sans juge, le jugement tunisois rapporté est une aubaine. Ses passages essentiels ont été traduits de l’arabe au français; il représente certainement la position majoritaire des autorités internationales appelées à donner effet au nouveau divorce français sans juge. L’évolution récente du droit marocain de la publicité de l’état civil en est un signe, s’il en était besoin.
Pour ce qui est du commentaire du professeur Souhayma Ben Achour, on relève une différence entre sa note et le jugement, en ce qui concerne la nationalité des parties. Pour l’annotateur, chacun des époux avait la double nationalité franco-tunisienne. Le jugement n’évoque que la nationalité tunisienne des deux époux ; ce faisant, il se place sur un terrain théoriquement encore plus intéressant ; en effet, à travers la question de la loi personnelle commune (tunisienne) des époux, le tribunal tunisois examine sans esquive des règles de conflit qui auraient pu aboutir au refoulement du droit français, n’eussent été les autres éléments de rattachement.
L’autre circonstance intéressante était que la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 ne prévoit de transcription en matière d’état des personnes que des décisions judiciaires. Le nouveau droit français du divorce extrajudiciaire ne relevait donc pas de ses prévisions de manière explicite. L’annotateur signale par ailleurs une distorsion avec une seconde convention franco-tunisienne en matière d’entraide judiciaire. Mais le jugement ne l’évoque pas.
Contrairement aux services de l’état civil tunisois qui ont refusé la transcription, le jugement tunisois ne s’arrête pas à la lettre de la Convention de 1972. Il cite des principes supérieurs de non-discrimination entre hommes et femmes, principes contenus dans la convention franco-tunisienne de 1979 ; il évoque l’intérêt supérieur de l’enfant de la Convention des Nations Unis sur l’enfant. Après avoir soigneusement relevé les éléments de rattachement à l’ordre juridique français des deux époux, en dépit de leur nationalité tunisienne commune, le jugement énumère les garanties procédurales protégeant le consentement et les droits des parties, dans la nouvelle procédure française. Il en conclut qu’en l’absence de fraude, rien (pas l’ordre public en tout cas) n’empêche la reconnaissance de la convention de divorce dans l’ordre juridique tunisien.
La note sous le jugement tunisois, cultivée et très agréable à lire, fait le tour de la question du point de vue du droit communautaire européen et du droit international. L’auteur fait même de la prospective pour les hypothèses dans lesquelles les époux commenceraient un divorce judiciaire en Tunisie pour opter ensuite pour la procédure plus rapide du divorce français par acte d’avocat certifié par le notaire.
Cette perspective est d’autant plus envisageable à l’aune de l’évolution de la pratique notariale dans nombre de pays membres de la Commission des affaires africaines de l’Union Internationale du Notariat. Cette commission vient de tenir un important Congrès à Dakar[5] sur, entre autres thèmes, la déjudiciarisation. Parmi les recommandations du congrès figure en bonne place l’exécution, sans procédure d’exequatur, de certaines décisions étrangères. Cette tendance à atténuer certains effets de l’ordre public international est heureuse et est à rapprocher du parallèle que fait l’annotateur entre le jugement tunisois et l’arrêt Bulkley.
A cet égard, il faut encore insister sur le choix du Tribunal tunisien de ne tenir compte que de la nationalité tunisienne des deux époux. En passant intelligemment cet obstacle, le jugement tunisien, bien que d’une juridiction inférieure, prend place dans les précédents notables en matière de condition des étrangers.
Dans la même période que le tribunal tunisois, des juges en Algérie (Sidi M’Hamed, 26 sept. 2017) et au Maroc (Oudja, 29 janv. 2018) ont refusé, dans des circonstances comparables, de reconnaître quelque effet aux nouveaux divorces sans juges. L’objection mise en avant était l’incompatibilité avec l’ordre public[6]. Avec la nouvelle circulaire marocaine, la jurisprudence du tribunal d’Oudja devient caduque. On prend le pari que le mouvement de reconnaissance ira grandissant[7]…
Les juristes devraient faire preuve davantage d’humilité dans les rapports Nord/Sud; ils devraient considérer que la vérité locale, ou la simple humeur d’un jour, ne saurait tenir lieu d’ordre public international de manière convaincante, pour paraphraser l’aphorisme de Pascal sur les Pyrénées.
En cela, les deux commentateurs ont particulièrement apprécié le recours à la notion d’ordre public atténué par le Tribunal suprême d’Espagne, le 24 janvier 2018; il admet les effets d’un mariage polygamique marocain en Espagne, en matière de pensions de réversion. Un commentaire en est signalé dans les rubriques de veille et de note de lecture de ce site[8] : María José Valverde Martinez, Javier Carrascosa Gonzáles, Poligamia en Marruecos y Pension de Viudedad en España. El Tribunal Supremo y el Orden Público Atenuado, Cuadernos de Derecho Transnacional, 10, 2, 2018, pp 718-731; numéro de la revue, article en PDF.
Au regard de toutes ces difficultés internationales, on peut s’interroger sur le titre de l’excellent article du professeur Souyama Ben Achour : pourquoi une tolérance à contrecœur ? La procédure sur avis qui a abouti à la saisine du juge de Tunis montre plutôt un accueil franc des nouveaux divorces français extrajudiciaires. Cet accueil prend même des allures avantageuses si l’on opère un rapprochement avec les jugements précités des autres pays maghrébins, ou avec le droit communautaire européen d’avant règlement de Bruxelles II ter (UE n° 2019/1111 du 25 juin 2019). Le divorce sans juge y est en effet confronté à des difficultés qui ont passablement énervé la Chancellerie parisienne[9].
Comme en droit international, le droit communautaire (le règlement européen (UE) n° 2019/1111 du 25 juin 2019 n’entrera en vigueur que vers la mi-2022) pose de sérieux problèmes au nouveau divorce extrajudiciaire français. La Chancellerie parisienne s’était montrée doublement trop optimiste[10], malgré une communication dont il faut reconnaître la qualité en général[11]. Selon elle, la circulation internationale du nouveau divorce par consentement mutuel extrajudiciaire se serait effectuée sans problème, avec les pays ayant un accord avec la France. Quant à l’applicabilité de Rome III[12] au nouveau divorce français, pour le ministre, l’expression claire des parties du choix de l’application du droit français dans la convention la garantissait. La jurisprudence européenne postérieure a pris la position inverse (voir réf., supra). En matière internationale, la confusion est encore plus grande.
La loi française n° 2019-222 du 23 mars 2019 est venue apporter quelques améliorations. Elle n’entrera en vigueur, avant septembre 2020, que selon le calendrier du décret d’application.
Il revient aux praticiens, pour assurer l’efficacité de leurs actes, de vérifier si la situation des époux contient des éléments actuels ou potentiels d’extranéité, même en présence de deux époux français[13] ; il y au moins une huitaine d’hypothèses, certaines ayant été envisagées par la circulaire d’application, d’autres non : nationalité de chacun des époux, double nationalité pour l’un des époux, mariage célébré à l’étranger, biens à l’étranger, résidence habituelle même partielle à l’étranger d’un des époux (actuelle ou projetée), résidence actuelle ou projetée à l’étranger d’un des enfants, double nationalité de l’un des enfants, droit de visite transfrontalier (actuel ou projeté), éléments liés à la Nouvelle Calédonie (dans laquelle ce divorce ne s’applique pas).
En Afrique, au regard d’une tendance quasi irréversible visant la déjudiciarisation de certaines procédures, les législateurs nationaux devraient élargir les possibilités de revêtir l’acte notarié de la formule exécutoire. Cette procédure à titre optionnelle par rapport à l’homologation par un juge aurait le mérite à la fois de la simplicité et de l’efficacité.
En France, dans le divorce sans juge, la procédure de dépôt notarial peut être complétée par une demande d’apposition de la formule exécutoire par le juge. On peut aussi recourir à l’homologation simplifiée, différente de la lourde homologation du divorce par consentement mutuel judiciaire des articles 1088 et suivants du code de procédure civile. Il faut prévoir dans l’accord même la possibilité pour chacune des parties de solliciter du juge l’apposition de la formule exécutoire ou l’homologation de la convention, au-delà de la prise en dépôt par le notaire. La requête en apposition de la formule exécutoire est l’hypothèse la plus simple ; elle est motivée par les difficultés potentielles d’exécution à l’étranger ; l’ordonnance (projet) doit porter expressément mention qu’elle fait corps avec la convention, elle peut viser l’article 502 CPC.
Mais l’hypothèse la plus courante sera probablement liée à la volonté de gagner du temps. Les époux saisiront le JAF, concluront entre temps une convention notariée[14] et la feront revêtir par la formule exécutoire en vertu de l’article 384, in fine, CPC qui organise un mode d’extinction de l’instance : Il appartient au juge de donner force exécutoire à l’acte constatant l’accord des parties, que celui-ci intervienne devant lui ou ait été conclu hors sa présence. Si les parties ne sont pas pressées, après le dépôt chez le notaire, elles auront recours à l’article 1565 CPC : L’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée. Le juge à qui est soumis l’accord ne peut en modifier les termes.
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