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Commentaire de Patricia SUID, avocat au barreau de Nice

Publié initialement dans la Tribune des Alpes Maritimes, n° 721 du 20 12 2013

Une mise à jour s’impose, en présence de deux groupes de nouveautés significatives, depuis l’article originel dans les Petites affiches des Alpes-Maritimes il y plus de cinq ans. Cette double mise à jour figure simplement en tête de l’ancien article au titre duquel il est rajouté la mention « mise(s) à jour ».

Le plus récent groupe de nouveautés est un singleton (comme on disait en maths au collège) sous la forme d’un décret no 2018-834 du 1er oct. 2018, en vigueur depuis le 1er janv. 2019, et dont l’unique objet est de modifier l’article D 144-12 du code monétaire et financier, l’alinéa concerné se lisant désormais :

A l’exception des cas mentionnés au III, le prononcé  d’une ou de deux procédures de liquidation judiciaire au cours des cinq dernières années n’entraîne pas l’attribution d’un indicateur significatif aux dirigeants d’entreprise et aux entrepreneurs individuels.

La notice qui accompagne de manière heureuse le décret indique au public concerné (entrepreneurs et Banque de France) que l’indice 0-50 est supprimé. En d’autres termes, si un entrepreneur ne tombe en liquidation que deux fois en 5 ans (contre une fois précédemment), et s’il n’a pas fait l’objet d’une sanction (interdiction de gérer, faillite personnelle, et implicitement banqueroute), sa note reste neutre au fichier Fiben. Plus concrètement encore, cela signifie que pour être inscrit « en rouge » au Fiben il faut trois liquidations judiciaires en cinq ans et/ou une sanction. L’ancien indice 040 avait été supprimé en 2013, on vient de supprimer l’indice 050, il reste donc en théorie, deux indice : 0-00 neutre et 0-60 rédhibitoire.

Le second groupe de modifications est constitué d’une pluie de lois, d’ordonnances et de décrets ; ces textes modifient principalement l’article L. 144-1 du code monétaire et financier et ses textes d’application ou textes connexes depuis l’année 2014, avec une dizaine de changements consolidés ! L’importance de ces suppléments vient de ce que, désormais, la Banque de France peut transmettre des informations Fiben au conseil régional pour les aides aux entreprises[1], ainsi qu’à certaines assurances et à certaines sociétés de gestion de portefeuille, à certains professionnels de l’intermédiation… Le « rating » devient donc presque aussi courant que dans les pays anglo-saxons (il y a encore une bonne marge).

Avant de vous renvoyer à la lecture de l’ancien article, il faut insister sur la nécessité que les experts-comptables et avocats d’entreprises ont de faire prendre à leurs clients un abonnement Fiben, ne serait-ce que pour surveiller leur propre notation ; il faut bien comprendre qu’en l’état actuel du droit il vaut mieux prévenir, les recours en justice contre la Banque de France pour les erreurs de cotation au Fiben n’étant pas très effectifs[2]!

REPRODUCTION DE L’ANCIEN ARTICLE (2013)

En France, la conséquence automatique des liquidations judiciaires était l’inscription de l’entrepreneur au fichier Fiben de la Banque de France, avec une cotation défavorable dite « indicateur significatif 040 ». Cette pratique vient d’être bouleversée en bien par un décret n° 2013-799 du 2 septembre 2013.

Un changement notable et heureux

Désormais, la survenance d’une liquidation judiciaire, sans sanction, n’entraînera plus l’inscription d’un indicateur significatif pour l’entrepreneur, pour peu qu’une seule liquidation soit survenue dans une période de cinq ans. Les sanctions concernées sont la faillite personnelle, les interdictions de gérer et la banqueroute. L’indicateur Fiben reste alors neutre : 00.

Cette excellente réforme devrait contribuer notablement à améliorer l’esprit d’entreprise en France en permettant à l’entrepreneur de repartir ; il pourra de nouveau obtenir des crédits bancaires, des crédits interentreprises. Il pourra aussi s’associer ou devenir ou rester membre d’un réseau d’affaires, en dépit d’une précédente liquidation.

Certes, la Banque de France a toujours affirmé qu’elle procédait au « credit assessment » selon les meilleures normes déontologiques internationales en la matière. Il faut néanmoins nuancer cette affirmation au regard des conséquences déplorables en France de l’ancien indicateur 040. Il s’agissait d’une pratique irréaliste qui ne tenait pas compte des réalités françaises. En effet, même si depuis 2005 la loi française, à l’imitation du droit américain, limite les liquidations aux hypothèses d’entreprises  « dont le redressement est manifestement impossible », la pratique reste largement éloignée de cet objectif. De plus, alors qu’en France une proportion dantesque des difficultés de l’entreprise est liée aux prélèvements obligatoires, les mécanismes de décharges sont kafkaïens, le législateur français et la pratique n’arrivant vraiment pas à imaginer que l’on puisse rayer une dette fiscale ou sociale selon le droit commun, pour permettre à l’entreprise de repartir le plus tôt possible.

Il y avait eu une lueur d’espoir sous l’empire de l’ancienne loi quand un arrêt de la Cour d’appel de Rennes avait décidé de soumettre les dettes de prélèvements obligatoires au droit commun des délais de grâce. Dans le recueil Dalloz de 1997, le regretté professeur Fernand Derrida avait apporté un soutien appuyé à l’arrêt en fustigeant « l’hostilité et surtout l’inertie qu’opposent les services fiscaux » dans ces matières, ruinant de la sorte les possibilités de rebond de l’entreprise[3].

Le rebond de l’entreprise traversant une période d’insolvabilité, ou seconde chance, est très pratiqué aux Etats-Unis et en Angleterre. Un rapport de la Commission européenne de janvier 2011 avait fait valoir que ce qui était en jeu dans la mauvaise pratique européenne d’élimination systématique de l’entrepreneur après une liquidation judiciaire, c’est la faiblesse de la masse d’entrepreneurs, par rapport aux USA. En Europe, le discours dominant évoque certes la nécessité de produire des entrepreneurs, oubliant néanmoins de préserver ceux qui existent. Cette culture d’élimination joue négativement sur la taille du système marchand et sur la proportion de leaders d’entreprise en réelle capacité de production de richesses. Mais elle dissuade aussi nombres de bonnes volontés de se lancer dans l’entreprise, de crainte d’être stigmatisées en cas d’échec.

Dans le cas français où ces défauts sont accentués, l’écosystème s’en trouve dominé par des pseudos entrepreneurs qui relèvent d’une culture d’économie d’Etat, monopolistique et inefficace.

On en est donc que plus surpris qu’il ait fallu attendre un gouvernement socialiste pour cette mesure de bon sens et d’efficacité.

Les conséquences à en tirer

Il y a au moins deux conséquences à tirer de cette évolution pour l’entrepreneur ou ses conseils.

La première concerne l’attitude à observer en cas d’ouverture d’une procédure collective survenue sans comportements frauduleux ou excessifs. Il faut spécialement soigner sa comptabilité en la complétant ou, le cas échéant, en la reconstituant. Le rôle des avocats et des experts-comptables est alors d’insister pour que le désarroi de l’entrepreneur ne le conduise pas à baisser les bras. Il faut expliquer qu’une liquidation propre préserve l’avenir. En pratique, les tribunaux de commerce accordent des délais assez amples pour la reconstitution de la comptabilité. Il s’agit d’un point crucial puisque le défaut de comptabilité peut entraîner des sanctions (art. L. 653-5, 6° du code de commerce).

La seconde conséquence à tirer concerne les entrepreneurs précédemment sous l’ex-indice Fiben 040, sans être sous le coup d’aucune sanction, ni « récidive » dans le cadre d’une liquidation judiciaire. Ces entrepreneurs bénéficient désormais de l’indice 00. Mais ils doivent bien vérifier ce point en dépit de l’affirmation de la Banque de France qui affirme, en quelque sorte, s’occuper de tout. Spécialement, il faut vérifier que c’est bien l’indicateur dirigeant 00 qui est appliqué, et non les indices 050 ou 060. Le meilleur moyen de la faire est de prendre une accréditation Fiben à la Banque de France (voir les démarches sur le site bien conçu de la Banque de France).

Un mot pour terminer sur les candidats auto-entrepreneurs qui subissent la mauvaise volonté des RSI et CIPAV. Ces organismes leur imposent un délai de deux ans après une procédure collective pour toute inscription, par une lecture byzantine de la loi de modernisation de l’économie. Désormais, l’esprit du décret devrait servir d’argument pour se faire inscrire ou élever le contentieux. On attend dans ce sens les réponses ministérielles aux questions de monsieur Pierre Léautey (n° 37896, JO Quest. 24 09 2013, p. 9891) et de monsieur Gérard Cherpion (n° 37761, JO Quest. 24 09 2013, p. 9832).

  1. Nous n’accordons aucun crédit aux restrictions d’utilisation prévues par ce texte ; ces informations circuleront, entre autres pour les marchés publics, les dirigeants de collectivités publiques ne pouvant guère être schizophrènes…
  2. Dans la confusion des textes commerciaux (aujourd’hui art. L. 142-2 et ss C. monétaire), le Tribunal des Conflits estime que les erreurs de cotation de la Banque de France relèvent d’une mission de service publique ce qui donne compétence aux juridictions administratives, TC 16 06 1997, n° 3054, Recueil Lebon
  3. F. Derrida, Règlement amiable : le Trésor est soumis aux délais de l’article 1244-1 du code civil, note sous CA Rennes, 27 mars 1996, D. 1997.28

 

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