La Cour de cassation comme la CCJA avec la nouvelle possibilité de statuer au fond en cas de cassation sans renvoi ?
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Dominique Kabré, L’immunité d’exécution des entreprises publiques en droit OHADA : la CCJA apporte une pierre à l’édifice de son régime

Obs. crit. sous CCJA, 1re Ch. 18 mars 2016, n° 044/ 2016, Gnankou Goth Ph. c/ FER, L’Essentiel, Droit africain des affaires n° 1, 01 01 2017.

NDLR – Observations ─ Encore une application radicale de l’article 30 de l’acte uniforme sur les voies d’exécution, en faveur de l’immunité d’une entreprise publique débitrice de salaires envers un ex-salarié… L’annotateur souligne que, contrairement à la solution retenue par l’arrêt, l’immunité devrait être refusée lorsque l’entreprise publique s’est placée sur le terrain du droit privé.

Mais il faut être encore plus sévère à l’égard de cette décision de la CCJA. D’abord, la jurisprudence CCJA en la matière va à l’encontre d’un courant international solide et grandissant qui s’appuie sur l’article 11 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et qui exclut les contrats de travail du bénéfice de l’immunité, y compris, mais avec des nuances, celle de l’article 31 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques[1].

On ajoutera que les articles 10, 15 et 17 de la convention onusienne excluent respectivement l’immunité quand l’Etat intervient en matière commerciale, ou par le biais d’une société commerciale ou lorsqu’il est partie à un arbitrage[2].

La Convention n’étant pas encore entrée en vigueur, il faut préciser que les conventions internationales (comme leurs projets d’ailleurs) peuvent être évoquées à titre de coutume lorsqu’elles n’ont pas encore été ratifiées. On trouve un exemple récent de cette évocation de la coutume dans l’application anticipée de la Convention des Nations Unies sur les immunités des Etats dans une salve d’arrêts de la Cour de cassation française, très commentés[3]. Il existe aussi une tendance internationale à retenir et appliquer des valeurs communes, par un travail de droit comparé, pour arriver à des résultats téléologiques soumettant les entreprises publiques aux voies d’exécution[4].

Ensuite, même en se cantonnant au droit Ohada, on se trouve en matière alimentaire. En effet, il est admis que les créances salariales sont essentiellement alimentaires, même si une salve d’arrêts de la Cour de cassation française a pu semer le trouble[5]. La nature alimentaire du salaire aurait pu conduire la CCJA à appliquer, par lecture extensive et libérale, l’article 213 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution, même d’office, en permettant la saisie :

Art. 213. AUVE : Pour le dernier arrérage échu et les arrérages à échoir, les créanciers d’aliments peuvent, en vertu d’un titre exécutoire, pratiquer une saisie simplifiée sur la partie saisissable des salaires, rémunérations, traitements et pensions payés au débiteur d’aliments sur des fonds publics ou particuliers.
Leur créance est préférée à toutes autres quel que soit le privilège dont ces dernières peuvent être assorties.

Il importe de comprendre que cette interprétation par la CCJA de l’article 30 de l’Acte Ohada sur les voies d’exécution, radicalement favorable à l’immunité des entreprises publiques, même dans des hypothèses dans lesquelles l’exception d’ordre public ne peut pas être sérieusement invoquée, fragilise la crédibilité du dispositif Ohada. La position de la CCJA conforte, en effet, une pratique des personnes publiques Ohada dépourvue de respectabilité. Dans un monde ouvert où l’on compare désormais tout, les Etats Ohada ne peuvent pas se payer le luxe d’afficher un tel manque de respectabilité, même à l’égard des citoyens et des investisseurs locaux.

  1. Pour un exemple d’application récente, voir CEDH, 8 nov. 2016, Naku c/ Lituanie et Suède, n°26126/07, Dalloz actualité, 22 nov. 2016, obs. Benjamin Herisset 

  2. Sur ces questions, voir G. Kenfack Douajni, Les Etats partis à l’OHADA et la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles, Ohadata D06-02 ; F.M. Sawadogo, La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit Ohada. A propos de l’arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005, affaire Azia blévi Yovo et autres c/ Société Télécom, Ohadata D-07-16) 

  3. Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 10-25938, 11-10450 et 11-13323, Rev. Crit. DIP 2014, 671, note H. Muir Watt ; Clunet 2013, 899, rapport A. Maitrepierre, note G. Cuniberti ; JCP 2013, n° 406, note J.-B. Donnier ; RTD Civ. 2014, 319, note L. Usinier 

  4. voir en ce sens les exemples cités in Jan Kleinheisterkamp, Investment Treaty Law and the Fear for Sovereignty : Transnational Challenges and Solutions, Modern Law Review 2015, 78(5), pp 793-825 

  5. Com. 3 mai 2016, plusieurs arrêts dont un, 14-24855, P+B, RTD Com. 2016, 552, note approb. Arlette Martin-Serf ; Dalloz actualité, 24 mai 2016, obs. approb. X. Delpech, Conception stricte de la notion de créance alimentaire en droit des procédures collectives.

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    Tag – entreprise publique ou mixe. Immunité d’exécution en zone Ohada. Critiques

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    Publié in France Ohada droit, notes de lecture, avril 2017 

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