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Seconde chance de l’entrepreneur après liquidation

La petite révolution qui limite le fichage

Commentaire de Patricia SUID, avocat au barreau de Nice

Publié initialement dans la Tribune des Alpes Maritimes, n° 721 du 20 12 2013

En France, la conséquence automatique des liquidations judiciaires était l’inscription de l’entrepreneur au fichier FIBEN de la Banque de France, avec une cotation défavorable dite « indicateur significatif 040 ». Cette pratique vient d’être bouleversée en bien par un décret n° 2013-799 du 2 septembre 2013.

Un changement notable et heureux

Désormais, la survenance d’une liquidation judiciaire, sans sanction, n’entraînera plus l’inscription d’un indicateur significatif pour l’entrepreneur, pour peu qu’une seule liquidation soit survenue dans une période de cinq ans. Les sanctions concernées sont la faillite personnelle, les interdictions de gérer et la banqueroute. L’indicateur Fiben reste alors neutre : 00.

Cette excellente réforme devrait contribuer notablement à améliorer l’esprit d’entreprise en France en permettant à l’entrepreneur de repartir ; il pourra de nouveau obtenir des crédits bancaires, des crédits interentreprises. Il pourra aussi s’associer ou devenir ou rester membre d’un réseau d’affaires, en dépit d’une précédente liquidation.

Certes, la Banque de France a toujours affirmé qu’elle procédait au « credit assessment » selon les meilleures normes déontologiques internationales en la matière. Il faut néanmoins nuancer cette affirmation au regard des conséquences déplorables en France de l’ancien indicateur 040. Il s’agissait d’une pratique irréaliste qui ne tenait pas compte des réalités françaises. En effet, même si depuis 2005 la loi française, à l’imitation du droit américain, limite les liquidations aux hypothèses d’entreprises  « dont le redressement est manifestement impossible », la pratique reste largement éloignée de cet objectif. De plus, alors qu’en France une proportion dantesque des difficultés de l’entreprise est liée aux prélèvements obligatoires, les mécanismes de décharges sont kafkaïens, le législateur français et la pratique n’arrivant vraiment pas à imaginer que l’on puisse rayer une dette fiscale ou sociale selon le droit commun, pour permettre à l’entreprise de repartir le plus tôt possible.

Il y avait eu une lueur d’espoir sous l’empire de l’ancienne loi quand un arrêt de la Cour de cassation avait décidé de soumettre les dettes de prélèvements obligatoires au droit commun des délais de grâce. Dans le recueil Dalloz de 1997 Le regretté professeur Fernand Derrida avait apporté un soutien appuyé à l’arrêt en fustigeant « l’hostilité et surtout l’inertie qu’opposent les services fiscaux » dans ces matières, ruinant de la sorte les possibilités de rebond de l’entreprise.

Le rebond de l’entreprise traversant une période d’insolvabilité, ou seconde chance, est très pratiqué aux Etats-Unis et en Angleterre. Un rapport de la Commission européenne de janvier 2011 avait fait valoir que ce qui était en jeu dans la mauvaise pratique européenne d’élimination systématique de l’entrepreneur après une liquidation judiciaire, c’est la faiblesse de la masse d’entrepreneurs, par rapport aux USA. En Europe, le discours dominant évoque certes la nécessité de produire des entrepreneurs, oubliant néanmoins de préserver ceux qui existent. Cette culture d’élimination joue négativement sur la taille du système marchand et sur la proportion de leaders d’entreprise en réelle capacité de production de richesses. Mais elle dissuade aussi nombres de bonnes volontés de se lancer dans l’entreprise, de crainte d’être stigmatisées en cas d’échec.

Dans le cas français où ces défauts sont accentués, l’écosystème s’en trouve dominé par des pseudos entrepreneurs qui relèvent d’une culture d’économie d’Etat, monopolistique et inefficace.

On en est donc que plus surpris qu’il ait fallu attendre un gouvernement socialiste pour cette mesure de bon sens et d’efficacité.

Les conséquences à en tirer

Il y a au moins deux conséquences à tirer de cette évolution pour l’entrepreneur ou ses conseils.

La première concerne l’attitude à observer en cas d’ouverture d’une procédure collective survenue sans comportements frauduleux ou excessifs. Il faut spécialement soigner sa comptabilité en la complétant ou, le cas échéant, en la reconstituant. Le rôle des avocats et des experts-comptables est alors d’insister pour que le désarroi de l’entrepreneur ne le conduise pas à baisser les bras. Il faut expliquer qu’une liquidation propre préserve l’avenir. En pratique, les tribunaux de commerce accordent des délais assez amples pour la reconstitution de la comptabilité. Il s’agit d’un point crucial puisque le défaut de comptabilité peut entraîner des sanctions (art. L. 653-5, 6° du code de commerce).

La seconde conséquence à tirer concerne les entrepreneurs précédemment sous l’ex-indice Fiben 040, sans être sous le coup d’aucune sanction, ni « récidive » dans le cadre d’une liquidation judiciaire. Ces entrepreneurs bénéficient désormais de l’indice 00. Mais ils doivent bien vérifier ce point en dépit de l’affirmation de la Banque de France qui affirme, en quelque sorte, s’occuper de tout. Spécialement, il faut vérifier que c’est bien l’indicateur dirigeant 00 qui est appliqué, et non les indices 050 ou 060. Le meilleur moyen de la faire est de prendre une accréditation Fiben à la Banque de France (voir les démarches sur le site bien conçu de la Banque de France).

Un mot pour terminer sur les candidats auto-entrepreneurs qui subissent la mauvaise volonté des RSI et CIPAV. Ces organismes leur imposent un délai de deux ans après une procédure collective pour toute inscription, par une lecture byzantine de la loi de modernisation de l’économie. Désormais, l’esprit du décret devrait servir d’argument pour se faire inscrire ou élever le contentieux. On attend dans ce sens les réponses ministérielles aux questions de monsieur Pierre Léautey (n° 37896, JO Quest. 24 09 2013, p. 9891) et de monsieur Gérard Cherpion (n° 37761, JO Quest. 24 09 2013, p. 9832).

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