Par Faustin Ekollo, docteur en droit
Quelques jours seulement après l’immense polémique sur l’origine et la nature de l’aide en équipements anti-covid 19, aide humanitaire d’urgence fournie par le Russie aux Etats-Unis[1], le président Donald Trump a sérieusement pris à partie le rôle de l’OMS dans la gestion du Covid 19, dans une de ses conférences de presse quasi-quotidiennes sur cette pandémie appuyée ensuite par tweet.
Il est allé jusqu’à évoquer la possibilité d’une suspension ou d’une réduction de la contribution financière américaine. Selon le président américain, l’OMS s’était trompée (They called it wrong), y compris dans ses critiques contre la décision américaine de fermeture des frontières, et l’organisation aurait été « trop proche » de la Chine. Le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a ensuite relayé les déclarations du président américain, avec des menaces, en rappelant que l’Amérique reste le premier contributeur au budget de l’OMS.
Dès le lendemain, le président de la Commission de l’Union africaine, monsieur Moussa Faki Mahamat, exprimait son étonnement et répliquait en défendant l’OMS et de son dirigeant, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus. Face à la pandémie de Covid 19, il indiquait qu’il fallait rester concentrés sur la coordination internationale et que les questions de responsabilité viendraient ultérieurement. Il faut reproduire ce tweet :
Surprised to learn of a campaign by the US govt against @WHO’s global leadership. The @_AfricanUnion fully supports @WHO and @DrTedros. The focus should remain on collectively fighting #Covid19 as a united global community. The time for accountability will come.
Plusieurs dirigeants africains ont immédiatement appuyé Le communiqué de monsieur Moussa Faki Mahamat : le président Buhari du Nigeria, le président Kagamé du Rwanda, le président Ramaphosa d’Afrique du Sud, le président Hage Geingob de Namibi ou le premier ministre éthiopien Gedu Andergachew…
Ces dirigeants africains ont tenu à saluer la coordination de l’OMS, laquelle permet de suivre en temps réel l’évolution de la pathologie Covid 19 dans le monde entier, avec des recommandations salutaires.
Cette réaction africaine est remarquable ; elle n’est absolument pas le fait du hasard : avec ce Covid 19, les relations internationales connaissent un bouleversement pratiquement sans précédent en temps de paix[2].
On note d’abord que le ton des dirigeants africains n’est plus à l’exaltation ni à la grandiloquence. Cette fois-ci, il n’y avait aucune imprécation, aucune proclamation lyrique. Ce n’était même pas un simple réflexe de défense népotique d’un dirigeant africain de haut niveau, sachant que c’est un éthiopien, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus qui est l’actuel directeur général de l’OMS.
On retiendra plutôt une expression de maturité sobre, sans provocation, de la part du chef de la commission de l’Union africaine et de ces dirigeants africains, dans cette période de calamité planétaire et de confusion générale.
Et pour de nombreux africains, ce message de responsabilité est proprement historique ; il marque peut-être un véritable tournant vers une indépendance effective d’un certain nombre de dirigeants africains, en matière internationale.
Il ne s’agissait pas de prendre position dans le jeu pour une hégémonie planétaire, entre l’Amérique et la Chine[3]. Il s’agissait de rappeler au turbulent président américain que le Monde fait face à des risques cataclysmiques qui impliquent de se serrer les coudes, au lieu de s’adonner à des jeux politiciens pour lesquels on aurait largement le temps ensuite[4].
Cette réaction africaine arrive à un moment où des déclarations de médecins européens sur l’éventualité d’utiliser le terrain africain pour expérimenter des thérapeutiques contre le Covid 19 ont provoqué un émoi considérable en Afrique.
Par le passé, quelques dirigeants africains avaient accepté des accords honteux d’expérimentations sur des segments de la population de leurs pays, concernant le HIV-VIH. Cette fois-ci, bien que le Continent africain ne soit pas spécifiquement concerné, la réaction du chef de la Commission de l’OUA implique, pour les africains, davantage de responsabilités en ce qui concerne leur propre devenir.
Peu de textes ou de discours historiques en Afrique portent une telle marque de responsabilité, de manière réaliste. Le discours de Nasser sur la nationalisation du canal de Suez, en 1956, était enflammé. Dommage ! Il était presque parfait, en termes d’appel à la responsabilité du peuple égyptien. Le discours de Nelson Mandela à Cuba, en 1991, pour remercier Fidel Castro et les Cubains de leur contribution à la fin de l’Apartheid était sans doute parfait ; mais il était trop marqué par une équation personnelle, comme aurait dit De Gaulle, pour pouvoir servir de marqueur aux populations africaines.
Et que dire des interventions incendiaires comme le Non de Sékou Touré en 1958, ou le discours naïf de Lumumba le jour de l’indépendance du Congo, discours dont ce pays paye encore le prix ? Fondamentalement, les interventions les plus marquantes de Kwame Nkrumah, d’Hamed Ben Bella ou de Thomas Sankara relevaient d’un certain enfantillage.
En termes de paroles historiques de responsabilité, peut-être peut-on signaler quelques discours à l’occasion des indépendances africaines de 1960-61. C’est certainement le cas du discours sur la responsabilité des dirigeants et des citoyens du Tanganyika de Julius Nyerere, le 9 décembre 1961. On peut aussi peut-être retenir le discours d’Houphouët Boigny. Malgré les marques profondes d’affection adressées à la France et l’émotion fraternelle exprimée en citant avantageusement et posément les dirigeants du Conseil de l’Entente et leurs pays respectifs, le premier président ivoirien rappela de manière incisive que les ivoiriens devraient d’abord compter sur leur propre travail.
Au chapitre de la parole historiquement responsable, on réservera une place particulière à certaines interventions pédagogiques du président Bourguiba. Celui-ci, malgré ses convictions rigoureusement laïques, avait réussi à faire appel à des préceptes islamiques pour son projet de société : faire évoluer les mentalités par l’éducation. Bourguiba citait et récitait l’obligation coranique d’Ijtihad[5] et prônant un Jihad al Akbar[6] : la guerre contre les mauvais instincts et les mauvaises habitudes (parmi lesquelles le manque de courtoisie, l’agressivité, les comportements violents à l’égard des femmes).
Mais toute prise de responsabilité a un prix.
Alors qu’il présidait l’Union africaine, Paul Kagamé avait trouvé scandaleux que le coût du fonctionnement de l’institution panafricaine soit pris en charge par des partenaires non-africains, pour plus de 70%[7].
Il avait donc lancé une initiative pour que ce soit les citoyens africains qui prennent en charge le fonctionnement de leur institution phare de manière pérenne, en insistant sur la nécessité d’exclure ou, du moins, de moins de limiter la ressource étrangère[8], le but étant de parvenir à un état d’esprit acceptable : right mindset.
Avec le communiqué de Moussa Faki Mahamat, appuyé par certains dirigeants africains, on se trouve directement projeté dans un moment de right mindset. Mais, pour que ce moment ne soit pas accidentel et passager, il devient urgent de s’assurer de l’aboutissement du projet d’autofinancement des institutions africaines. C’est la moindre des choses pour des nations et des populations qui souhaitent désormais s’émanciper réellement, dans un monde qui change à vue d’œil[9].
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