Note de lecture
Faustin Ekollo, docteur en droit
Juillet 2021
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Localement, de nombreuses réactions populaires ont salué les succès des traitements traditionnels en Afrique et en Chine, concernant la pandémie covid-19. En revanche, si les autorités et cadres chinois ont souvent mis en valeur leurs traitements traditionnels, on note, dans l’élite occidentalisée des pays africains, un silence dominant.
Ces différences d’état d’esprit se reflètent dans les deux articles ci-dessous, écrits presque en miroir.
Cheluchi Onyemelukwe, Ayoyemi Lawal-Arowolo, Chinaka Emmanuel, Patents, Access to COVID-19 Vaccines and Medicines, and Traditional Medicine: A Dilemma for African Countries, European Intellectual Property Review, 2020, 42(9), 569-575
Xuejiao Cao, Limitations of Patenting Traditional Chinese Medicine, Peking University School of Transnational Law Review Blog, 2021-03-06 [libre accès]
Le premier article est essentiellement centré sur l’Afrique. Il est néanmoins très bien informé sur la Chine et sur différents aspects des tensions autour des brevets en matière de santé. S’agissant de lutte anti-Covid-19, les auteurs critiquent l’indifférence des dirigeants et cadres africains envers les résultats des médecines traditionnels africaines, en y opposant des contre-exemples chinois.
Le titre du second article est trompeur, par son ambigüité. L’objet concerne largement la protection des médecines traditionnelles en dehors des brevets et, en réalité, contre la tentation de brevets frauduleux ou de brevets d’accaparement. On connaissait déjà des travaux en ce sens, insistant sur l’ineffectivité du Protocole de Nagoya en matière d’accès équitable aux ressources génétiques et biologiques[1]. Avant même la conclusion ou l’entrée en vigueur du protocole, certains de ces travaux évoquaient un boulevard pour la biopiraterie[2]. Un livre technique un peu « engagé » avait fait le tour de la question de manière peut-être idéologique. Il apparaît désormais largement prémonitoire, alors qu’il avait été publié dans un contexte moins dramatique, en termes de santé publique[3].
Ce pessimisme quant à l’efficacité de la Convention de Nagoya a été conforté par des travaux qui reflètent certains de ses vices de conception, comme la rédaction de l’article 5 sur le Partage juste et équitable des avantages ou les articles 7 et 12 sur l’Accès aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques[4].
Mais les pratiques juridictionnelles ou quasi-juridictionnelles tendent aussi à ignorer le protocole de Nagoya. Un cas éloquent est l’affaire Quassia Amara dans laquelle l’Office européen des brevets n’a trouvé absolument rien à redire d’un acte de bio-piraterie commis par les chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), pour s’approprier les principes actifs de traitements anti-palustres issus de savoirs traditionnels ancestraux[5], en Guyane
Ces deux sources sont systématiquement oubliées par les défenseurs des collectivités autochtones ou locales, dans la défense des savoirs traditionnels. Il faudrait les ajouter au Protocole de Nagoya, dans les argumentaires.
En effet, la déclaration de Beijing (2008)[6], combinée avec l’article 15, 4, a, de la Convention de Berne sur le droit d’auteur, accorde aux médecines traditionnelles une protection théorique à travers une quasi-propriété intellectuelle.
Mais, désormais aiguillonnés par la pandémie Covid-19, les auteurs du premier article cité, publié à la European Intellectual Property Review, voient plus loin. Ils insistent sur la nécessité de faciliter l’exploitation des savoirs traditionnels, au-delà de l’aspect purement défensifs.
La question des bibliothèques de pharmacopées et de savoirs traditionnels
Mais quelles voies faut-il emprunter pour faciliter l’exploitation locale des savoirs traditionnels ?
Une première réponse vient d’Inde. Face aux besoins nationaux et aux difficultés essentiellement internationales, la stratégie indienne semble avoir montré un chemin assez sûr. Il s’agit, en plus de textes spécifiques, de construire des répertoires de savoirs traditionnels dans des conditions qui seront aisément opposables en matière internationale : c’est l’idée derrière le Traditional Knowledge Digital Library.
D’autres Etats ont fait comme l’Inde, parfois à sa suite : c’est le cas de la Thaïlande, du Pérou, du Japon ou de la Chine. A cet égard, parmi les articles-vedettes cités dans la veille 2019 de ce site, on signalait déjà que des auteurs chinois reconnaissaient la sophistication des tradi-praticiens africains. Ils estimaient alors que la Chine devait intégrer leurs savoirs dans le travail en cours de systématisation des connaissances, dans le cadre des projets chinois de bibliothèques virtuelle des données en matière de santé[7].
Avec le choc Covid-19, les africains doivent à leur tour s’inspirer de l’idée de construire une bibliothèque de leurs données en matière de médecines traditionnelles. Un tel projet serait facilité d’autant que le Protocole Swakopmund, des pays de l’ARIPO, est proche de l’Accord additif à l’Accord de Bangui révisé, relatif, entre autres, à la protection des savoirs traditionnels, pour les pays de l’OAPI. Cet aspect des choses leur éviterait de recommencer des textes nationaux qui seraient une simple redondance. On peut ajouter que cette évolution est encouragée par l’OMS[8]. Sur me terrain, OAPI et ARIPO travaillent déjà ensemble, à travers une Commission mixte[9].
Dans le même sens, on peut consulter un mémoire en ligne de Thierry Sourou WHANNOU, Le cadre juridique de la protection des savoirs traditionnels africains associés aux ressources génétiques sur l’agriculture et l’alimentation dans l’espace OAPI
La mise en place d’une bibliothèque panafricaine des savoirs traditionnels en matière de santé représenterait alors un pas essentiel pour créer un lien technique et une protection juridique entre l’industrie pharmaceutique et les savoirs traditionnels. En effet, l’extraction des molécules et leur conditionnement impliquent habituellement une protection par divers brevets. Avec la publication des savoirs des médecines traditionnelles dans des répertoires crédibles, un brevet ne s’imposera plus autant en termes de protection. Les professionnels africains pourront donc exploiter les données publiées dans les répertoires pour construire une industrie pharmaceutique, ou s’y associer, sans crainte d’être pillés.
Vers une politique de brevets ?
Mais, cela a été dit plus haut, les perspectives africaines d’exploitation des savoirs traditionnels ne devraient pas se limiter aux aspects essentiellement défensifs. En complément à l’éventuelle mise en place d’une bibliothèque des savoir traditionnels, il restera beaucoup à faire, en ce qui concerne les tiers : un régime effectif de concession des droits d’exploitation doit voir le jour. Ce point représenterait une possibilité de ressources supplémentaires, tant en finances qu’en savoirs pharmaceutiques. Or, sur ce point, la simple protection contre la bio-piraterie ne suffit plus. Il faudra peut-être compléter la bibliothèque envisagée par des mécanismes proches des brevets. Leur ratification à travers l’OMS serait alors un complément juridique bienvenu compte tenu de la controverse derrière la brevetabilité des savoirs traditionnel. En réalité, il faudrait peut-être sauter le pas et que les africains fassent un travail d’identification des molécules pour les faire breveter au nom des communautés traditionnelles et des instituts (ou chercheurs) impliqués.
En l’état de la faiblesse du secteur privé africain en matière sanitaire, cela implique un engagement du secteur public. Mais la volonté politique fait complètement défaut actuellement. En effet, les dépenses personnelles faramineuses de nombreux chefs d’Etats africains, et leur entourage pléthorique, sur fonds publics, se font au détriment de tous les aspects de la santé publique et de la recherche[10], avec des effets d’entrainement tragiques pour les ressources publiques.
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