Enervement de la CCJA à l’encontre la cour d’appel de Kinshasa-Gombé quant à la qualité de mandataire social en matière internationale
Faustin Ekollo, docteur en droit
Note de lecture publiée en fin juin 2021, à propos de ….
Bréhima Kaména
Note sous CCJA, 1re ch., 28 mai 2020, no 178/2020, L’Essentiel Droits Africains des affaires 01/12/2020
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En résumé
Selon la CCJA : « il est établi comme résultant de l’extrait délivré à Genève le 3 juin 2015 du Registre de commerce de Genève du 14 mai 1993, sous la référence n° 04198/175, que [la requérante] est de droit suisse [casse] ».
Selon l’annotateur :
Cette cour d’appel [kinshasa-Gombé] avait dénié au directeur juridique et au « Senior Counsel » de la requérante la qualité pour signer le mandat donné aux avocats d’agir en cause d’appel, au motif qu’ils n’avaient pas produit la preuve de leur habilitation. Or, selon la requérante, il ressortait des articles 25 et 26 de ses statuts que ladite société est administrée par un conseil d’administration, lequel peut désigner toute personne pour la gestion ou la représentation de la société, et que les deux signataires du mandat litigieux avaient été désignés par actes des 26 juillet 2010 et 27 octobre 2013.
Selon l’article 121 AUSCGIE Ohada :
À l’égard des tiers, les organes de gestion, de direction et d’administration ont, dans les limites fixées par le présent Acte uniforme pour chaque type de société, tout pouvoir pour engager la société, sans avoir à justifier d’un mandat spécial. Toute limitation de leurs pouvoirs légaux par les statuts est inopposable aux tiers de bonne foi.
La CCJA censure un arrêt de la cour d’appel de Kinshasa-Gombé en raison de son refus de tenir compte des éléments d’extranéité qui s’imposaient dans le débat.
Pour la crédibilité de l’ensemble des systèmes juridiques nationaux, les juristes africains doivent comprendre qu’en présence d’un élément d’extranéité, il est des principes qui ont désormais valeur universelle[1]. Or ils n’apparaissent pas forcément dans les textes Ohada. Ici, un principe qui aurait dû venir à l’esprit des juges congolais, en dehors même de toute interrogation sur le droit applicable, c’est celui de l’équivalence des effets en droit international (normative equivalence en anglais). Ce principe est en partie la symétrie des questions de conflit, dans les hypothèses de contrôle allégé, en l’absence de contrariété à l’ordre public international local. Mais son fondement essentiel est celui de la courtoisie international, très joliment appelée par les anglo-saxons Comity[2].
En droit international, ces notions d’équivalence ou de courtoisie font désormais partie de l’éducation minimale des juristes. Elles prennent une place croissante avec l’explosion des relations internationales. On lira à ce sujet le compte-rendu du professeur Catherine Puigelier concernant la thèse de Kamalia Mehtiyeva, La notion de coopération judiciaire (Préface L. Cadiet, LGDJ 2020), RTD Civ. 2020.981. En voici un extrait, et nous soulignons :
La courtoisie devient une source de droit ou tout au moins un fait de nature à emporter des effets de droit. Il est question d’une forme de diplomatie juridique ; il ne s’agit plus de diplomatie stricto sensu ni de droit stricto sensu mais il s’agit en quelque sorte de psychologie juridique. L’ensemble relève davantage du devoir et plus simplement de la conscience du juge (ou de l’intelligence de celui-ci). […]
Il est de toute façon possible d’affirmer que les juges (que ceux-ci soient des juges requérants ou des juge requis) savent faire la part des choses dans notre espace juridique mondialisé. Ils comprennent parfaitement – indépendamment de la présence de traités – qu’une réciprocité permet – au-delà des mécanismes de reconnaissance mutuelle – d’assurer une bonne administration de la justice.
Ce n’est donc pas un bon signe qu’un tel dossier puisse arriver au niveau de la CCJA.
Certes, la décision de la CCJA est l’objet de timides réserves du commentateur à l’Essentiel Droiits africains des affaires. Mais, en dépit sa motivation elliptique, cette décision est suffisamment fondée et pédagogique ; elle mérite donc approbation. La sécheresse de la cassation exprime simplement une exaspération difficile à contenir, même pour de hauts magistrats. L’’arrêt se contente alors de rappeler qu’il existe un élément germinal d’extranéité, emportant application du droit étranger quant à la qualité et à la capacité des dirigeants : il est établi comme résultant de l’extrait délivré à Genève le 3 juin 2015 du Registre de commerce de Genève du 14 mai 1993, sous la référence n° 04198/175, que [la requérante] est de droit suisse.
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