Note de lecture, Faustin Ekollo, docteur en droit
Ce très intéressant article est à prendre en considération au-delà du cercle européen, même en Afrique[1]. Mais, en dépit de ses qualités, il énerve un peu, paradoxalement.
L’étude effectue des rapprochements entre décisions de la Cour EDH, sur la prise en compte du vieillissement, avec des éclairages heureux. On voit défiler l’affaire Dudgeon v UK ou l’affaire Papon c France, entre autres. On voit aussi des affaires plus anecdotiques sur des sujets comme la tentation de refuser de travailler en prison, en fonction de l’âge. Le lecteur est obligé de vérifier après l’utilisation par le commentateur de l’expression étrange arrêt pour évoquer l’affaire Senchishak c/ Finlande du 18 novembre 2014. Oui, très étrange. On sursaute un peu en lisant des développements sur le droit à « l’interruption volontaire de vieillesse », même si l’expression est une citation contestée, et même si sont évoqués des doutes sur la neutralité axiologique de son auteur.
La présentation par l’auteur de l’affichage récent des questions de vieillissement sur le site de la CEDH résume parfaitement l’évolution des mentalités et des enjeux face à cette question fondamentale de société. Sa présentation de la relation entre l’article 23 de la Charte sociale européenne et l’article 8 § 1 de la CEDH est édifiante. L’auteur ne craint pas d’aborder quelques controverses, avec parfois une petite liberté de ton qui ne nuit pas vraiment à la qualité de l’analyse (auteurs les plus rétrogrades)…
Dans une perspective européenne comparée, on peut néanmoins s’étonner des insinuations sur les écarts d’espérance de vie (il faut en réalité entendre de niveau de vie) entre pays européens. En effet, l’Europe présente un visage relativement homogène, comparée à des nations continentales comme la Chine ou même les USA, et à plus forte raison, comparée à d’autres continents. Certes, le commentaire prend la précaution d’évoquer le Conseil de l’Europe qui est l’entité la plus large, avec la Russie…
Il reste que la place réservée aux analyses de la notion de vieillesse ou aux nuances concernant la relation vulnérabilité-vieillesse est un peu excessive… Les subtilités font penser à certaines polémiques dans les revues médicales, essayant à tout prix de distinguer gériatrie et gérontologie. Sur ce point, le prétexte des termes de la CEDH conduit à revisiter des évidences, quoiqu’en dise l’annotateur.
Il est réellement dommage de ne pas avoir évoqué, même vaguement, ou si possible sous la forme d’exemples limités, comment ce thème est traité aux Etats-Unis (Japon et Chine, moins accessibles, sont évoqués plus loin). Dans ce pays, législation et jurisprudence en matière d’âge et de discriminations liées à l’âge ressemblent à ce que l’on voit en Europe, avec une certaine avance dans le temps, et beaucoup de matière.
On ressent forcément un certain agacement quand on pense qu’avec une petite restriction dans le libellé (discriminations), le sujet a déjà été traité aux USA[2]. Au minimum, il convenait de dire un mot du Age Discrimination in Employment Act, AEDA, 1967 ; ce texte important a déjà donné lieu à plusieurs décisions de la Cour suprême US ; la plus encline à couper les cheveux en quatre (comme les nuances de la CEDH évoquées par l’étude) étant probablement l’affaire Hazen Paper[3]. Celle-ci était néanmoins importante, puisqu’il s’agissait de régler une divergence entre des cours d’appel de circuits, sur les finesses liées à la notion de Age Proxy Doctrine[4]. D’un point de vue de droit comparé, une étude sur les discriminations à l’envers aurait été intéressante dans la mesure où elle compare la position de la Cour suprême US à celles de divers circuits ou de cours suprêmes locales. La Cour suprême US avait tranché que les discriminations en faveur des personnes âgées ne tombaient pas sous le coup du Age Discrimination in Employment Act, AEDA, 1967 ; du coup, les juges étatiques et ceux des circuits sont libres de sanctionner ou non sur la base du droit commun ou des droits locaux[5].
Dans la mesure où l’auteur évoque le caractère irréversible et universel du vieillissement, outre la construction systématiquement inachevée de la jurisprudence de la CEDH, il aurait pu avoir un regard plus large, vers des juridictions et des sources non européennes. Des éléments de droit comparé et d’analyse économique et sociologique venus d’autres continents auraient autrement enrichi l’analyse de cette jurisprudence. Une seule référence non européenne est citée, en matière de psycho-sociologie. Mais c’est probablement un choix[6]…
Dépassons la circonscription du sujet voulue par l’auteur. Allons même au-delà de son énoncé sur l’analyse de la jurisprudence de la CEDH.
On relève alors qu’en Europe, cette tendance égocentrique en matière d’analyse sur le vieillissement concerne même les pouvoirs publics, d’une manière générale. On voit que les textes en Europe, comme la loi française n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement et ses équivalents dans plusieurs pays d’Europe, ou comme la Charte sociale européenne (dans ses deux ou trois articles concernant la vieillesse) sont peu imaginatifs[7].
Même les discussions actuelles sur le vieillissement, sont étrangement limitées[8]. Il suffit d’en lire certaines manifestations pour regretter l’absence de culture comparatiste dans la construction des normes européennes. Ainsi, les discussions sur les hypothèses de portabilité des droits sociaux et des pensions de retraite en particulier ont donné lieu à une production provisoire de normes incroyablement peu créatives. Un communiqué de presse de la Commission, en date du 4 avril 2019, présente le Pan-European Personal Pension Product (PEPP). Mais après avoir lu et relu, on se dit qu’il s’agit sans doute seulement d’actes préparatoires et qu’il faudra attendre bien plus que les presque trois ans annoncés pour des choses sérieuses (This is expected to take place within approximately two and a half years).
Il faut le redire, les européens doivent avoir conscience de ce qu’en Chine, au Japon ou aux Etats-Unis, des solutions pourraient parfois les inspirer.
Le Japon est la grande nation qui possède l’espérance de vie la plus élevée. Il est donc naturel qu’il ait été un précurseur en matière de législation sur le vieillissement de la population (depuis une loi d’orientation n° 129 de 1995). Dans ce pays où depuis très longtemps il y une journée nationale des personnes âgées, le touriste est frappé par le nombre et le caractère particulièrement visible de signes réservant des places ou la priorité aux personnes âgées, et pas seulement dans les transports en commun.
Cela se comprend aisément dans un pays où un tiers de la population est au-delà du troisième âge. D’ailleurs, la situation japonaise conduit régulièrement à des travaux de comparaison originaux[9].
En revenant sur le sujet en titre, on mentionnera simplement que la jurisprudence sur le vieillissement est abondante et ancienne et permettrait des comparaisons avec la CEDH sur tous les points évoquées dans le commentaire, spécialement les questions de dignité et de vulnérabilité. Mais on note aussi des décisions de la Cour suprême extrêmement controversées ; ce fut par exemple le cas sur le thème de la responsabilité du fait de la garde d’incapables majeurs : Japan: Supreme Court Ruling on Liability of Kin of Elderly with Dementia, Global Legal Monitor.
Aux Etats-Unis, il existe de très importants débats publics autour du thème Healthy Ag(e)ing, avec une puissante agence fédérale et des associations sociales bien financées et actives. On trouve une expression de ces préoccupations dans une loi de 2010 qui lie le vieillissement en bonne santé et le bien-être. De cette loi sont issus les termes même du 42 USCA, § 300u-14 qui évoquent Healthy Aging & Living Well.
Un consensus national s’est même dégagé pour procéder à une étude systématique, dans divers domaines, du binôme vieillissement-TIC, avec des dizaines d’articles et même des rapports et articles sur ces travaux[10]. Il faut observer que sont assez largement relevés des éléments provenant d’Europe ou d’Asie.
Le maintien d’une vie acceptable, en termes de santé, d’équilibres en tous genres et de dignité, pour les personnes âgées (240 millions) est, avec la question des travailleurs migrants (290 millions), le plus gros souci macroéconomique chinois[11]. Une analyse d’ensemble dans un excellent article de Madame Isabelle Attané utilise l’expression imagée de « fin du dividende démographique » [12].
Mais il ne faut peut-être pas examiner toutes les questions en termes de proportion de budget étatique. A cet égard, en 1996 et en 2013, la Chine a été la première nation à transformer les obligations d’honneur et de respect envers les parents (obligations commune à de nombreux pays ; en France, Code civil, article 371) en actes précis, avec des sanctions civiles et pénales.
Pour ce faire, le législateur chinois a simplement rendu obligatoires les premiers des 24 parangons de la piété filiale écrits il y a six siècles par Guo Jujing, reproduisant des enseignements de Confucius sur les rites (Li) et la piété filiale (Xiao). L’agence Xinhua a rendu compte d’une audience judiciaire sur le sujet, le jour même de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le premier juillet 2013, (application immédiate). Un juge a condamné un jeune couple à rendre visite à la mère de l’épouse au moins une fois tous les deux mois, au-delà de la pension alimentaire. Entouré par un océan de presse, le président de la juridiction a déclaré qu’une assistance affective et mentale était importante pour le bien-être et les droits des personnes âgées, conformément à la loi et aux enseignements de Confucius !
Cette loi a provoqué, en dehors de tout financement public et en dehors de toute autre intervention étatique, ou publique en général, une accélération d’activités sociales et de loisirs destinés aux personnes âgées : coopératives, réseaux charitables de financement de mutuelles, associations d’initiation aux réseaux sociaux, création de services de proximité financé par des mouvements de crowdfunding social pour suppléer ceux qui, comme des dizaines de millions de travailleurs migrants, ne peuvent pas rendre visite régulièrement à leurs parents (La Chine est légèrement plus vaste que les Etats-Unis)[13]. L’ironie est d’ailleurs à son comble quand on lit des critiques d’auteurs américains ou britanniques sur la très faible implication de l’Etat chinois sur la question démographique. On pourrait répondre qu’en termes comportementaux, cette loi a conduit à l’examen de nouvelles directions créatives, y compris en matière de retraite active[14].
Publié in France Ohada droit,
Xu Hui & Zhang zhi-yuan, Researches on the Reemployment System of the Retired in China, 5, Journal of Chaohu College, 2016, pp 36-40 (en putonghua) ↑
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