Note de lecture de Faustin Ekollo, docteur en droit
Les notes de jurisprudence rapportées concernent à la fois le domaine de compétence de la CCJA et les conditions de recevabilité des recours.
1°) Le recadrage sur la compétence, mentionné dans le premier commentaire, ne peut être que sans fin. Il faut admettre que les limites en matière de compétence de la CCJA, telles que définies par l’article 14 du Traité Ohada, impliquent l’existence d’une zone grise. C’est la difficulté éternelle et universelle du thème des frontières dans les compétences matérielles. Certes, selon Mme Coumba Ndiaye, la compétence de la CCJA est clairement définie par l’article 14 du Traité ; mais cette affirmation est sans doute excessive. Bien sûr, il existe une tendance de la CCJA à suivre une logique automatique dans certains cas, comme cela est évoqué a contrario dans le commentaire de M. Akono sous le troisième arrêt : c’est l’hypothèse lorsqu’un déclinatoire de compétence en faveur de la CCJA a été soulevé en vain devant les juges nationaux ou en cas de renvoi devant la CCJA par les ces derniers.
Mais, dans les autres situations, les frontières doivent parfois être précisées entre la compétence des juridictions nationales et la compétence de la CCJA, pour des questions de degré ou de proportionnalité, voire de style de motivation ou d’argumentation, comme on le voit plus loin. Cela laisse de la place pour la casuistique. C’est d’ailleurs en ce sens que l’article 17 du Traité et l’article 32 (nouveau comme ancien) du règlement de procédure CCJA évoquent la notion d’incompétence manifeste qui implique l’existence de degrés. On relève ainsi des décisions CCJA qui ont abordé la question de savoir si le droit communautaire était évoqué à titre principal, substantiel ou relativement secondaire[1].
2°) Après avoir rappelé le pouvoir de la CCJA de soulever d’office des moyens, le professeur Grimaldi pose la question de savoir si, du point de vue de la recevabilité, la CCJA peut également soulever d’office un moyen. L’opération aboutirait alors à repêcher un dossier autrement irrecevable puisqu’il s’agirait d’un moyen de pur droit qui n’aurait pas été débattu devant les juges nationaux. : « suffit-il que l’affaire soulève une question relevant du droit OHADA ou faut-il, en plus, que cette question ait été soulevée devant les juridictions du fond ? ». Le professeur Grimaldi regrette que la réponse de la CCJA s’oriente vers le second terme de la question.
Un autre élément de réponse est à prendre en considération au-delà de la jurisprudence citée par cet annotateur, voire au-delà des termes de l’article 14 du Traité Ohada ; cet élément renforce la position de la CCJA. Il faut rappeler que la lecture de l’article 14 du Traité doit désormais être complétée par celle des nouveaux articles 28, 28 bis et 28 ter du règlement de procédure de la CCJA (2014). L’article 28, 1°, in fine prévoit explicitement, à peine d’irrecevabilité, que le recours indique les actes uniformes ou les règlements prévus par le Traité dont l’application dans l’affaire justifie la saisine de la Cour. Quant à l’article 28 bis, il énumère les cas d’ouverture, à peine d’irrecevabilité selon l’article 28 ter. En d’autres termes, s’agissant de recevabilité d’un recours, la CCJA ne sera pas la providence d’une partie qui n’aurait pas visé un texte Ohada devant les juges nationaux au soutien d’un moyen mettant (sérieusement ?) en œuvre le droit Ohada[2]. L’irrecevabilité paraît irrémédiable.
La position de la CCJA rejoint sur le principe celle de la Cour suprême des Etats Unis, sans que l’on puisse dire, pour le moment, si elle ira aussi loin. La Cour suprême US n’admet aucune possibilité de transfert de dossiers de juridictions étatiques vers les juridictions fédérales, au seul motif qu’il s’agirait de questions fédérales ou même qu’un déclinatoire de compétence aurait été soulevé. Il faut en plus que le défendeur satisfasse à la notion traditionnelle, mais protéiforme, de properly [ou well]-pleaded complaint rule[3]. Autrement dit, soulever une exception de compétence fédérale ne suffit pas ; il faut en plus la plaider sérieusement. On reconnaît la notion familière de moyen sérieux en droit belge et français entre autres.
3°) Les deux arrêts commentés par M. Akono concernent le recours de l’article 18 du Traité Ohada, c’est-à-dire la saisine de la CCJA contre un arrêt de Cour suprême nationale qui aurait retenu sa compétence dans une matière Ohada, malgré l’éventuel déclinatoire de compétence d’une partie. Il faut dire, sur ce point, que le dernier arrêt est réellement navrant dans la mesure où il représente un motif d’irrecevabilité récurrent ; il montre que nombre de praticiens Ohada qui saisissent la CCJA ne font pas l’effort élémentaire de vérifier les conditions procédurales de sa saisine, même dans des situations absolument dénuées de complexité[4].
Certes, on pourrait penser que dénicher l’article 18 du Traité ne va pas de soi pour un praticien pressé… Mais le chapitre XI du règlement de procédure de la CCJA, qui comprend un article unique 52, y renvoie de manière particulièrement claire, avec un intitulé indiquant Du recours prévu à l’article 18 du traité. Et on n’imagine pas un praticien qui ferait un recours devant la CCJA sans avoir lu le règlement de procédure. Or, dans les codes Ohada disponibles dans le commerce, Code vert, Code gris et Code bleu, par ordre d’ancienneté, les éditeurs et annotateurs ont parfaitement mis en exergue l’article 18 du traité et l’article 52 du Règlement de procédure, avec des commentaires insistant sur l’originalité planétaire des conditions du recours devant la CCJA. Et les arrêts cités dans ces codes depuis de nombreuses années ne laissent aucun doute quant à nécessité d’une exception d’incompétence devant la Cour suprême nationale, en dehors de l’hypothèse du renvoi à la CCJA par le juge national. Mais peut-être que certains praticiens ne possède aucun des codes Ohada disponibles dans le commerce et qu’ils se fient à leur capacité de compréhension des textes bruts, librement accessibles par divers vecteurs. On ne peut pas grand-chose pour eux dans ce cas…
4°) Il faut vraiment comprendre que, devant la CCJA, on ne peut pas transposer entièrement les techniques et traditions qui ont cours en matière de pourvoi en cassation en France et en Belgique (recours en cassation). De plus, les conditions d’accès à la CCJA diffèrent du principe d’épuisement des voies de recours internes qui prévaut devant les juridictions communautaires européennes : c’est que la compétence matérielle de la CCJA élimine les cours suprêmes nationales avant de se superposer avec les cas d’ouverture pratiqués en France et en Belgique. Malgré les controverses persistantes, ce système original est en train de faire ses preuves en termes de lisibilité, de prévisibilité et surtout de légitimité du droit Ohada y compris aux yeux de tribunaux et d’analystes des quasi-continents américain[5], ou chinois[6]. De ce point de vue, le commentaire de M. Algadi tombe à point pour une révision générale des différents modes de saisine de la CCJA.
CCJA 2e Chambre, 26 février 2009, n° 11, Société TAMOIL, Ohadata n° J-09-284,observation F. Ekollo, Rev. Ersuma n° 1, 2012, p 441 et ss : la CCJA approuvait la position de la Cour suprême du Niger retenant la compétence nationale après analyse de la proportion dans chaque affaire entre droit Ohada et droit national ↑