NDLR— Les analystes accueillent avantageusement certaines dispositions de la loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, spécifiquement de l’article L. 411-3, al. 2 du COJ ; mais ils reprennent une erreur très commune à l’ensemble des juristes français : après cassation « en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » transformerait la Cour de cassation en juge du fond, en troisième degré (le premier annotateur s’en défend, certes, mais il évoque l’effet dévolutif en cassation). Il y a là, dans l’analyse une confusion entre statuer et instruire (ce qui est le propre d’une juridiction du fond). La confusion provient peut-être de la rédaction même de l’article 411-3, al qui dispose que, et nous soulignons, depuis une quarantaine d’années, la Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond. Il aurait probablement été plus juste d’écrire n’implique pas qu’il soit à nouveau, après instruction par les juges du fond, statué sur le fond.
Il faut néanmoins reconnaître qu’à la lecture du nouvel article 1015 CPC, avec l’introduction d’un alinéa 2 issu du décret n° 2017-396 du 24 mars 2017, un petit pas a été franchi en faveur d’une certaine dose d’instruction puisque désormais, au lieu de se contenter des observations des parties comme cela était le cas en matière de substitution ou de suppléance d’office, la Cour de cassation peut demander communication de certaines pièces, « le cas échéant », pour statuer sur le fond. Cette coquetterie sera sans doute peu utilisée ; sur le principe, elle ne semble pas constituer la marque d’une véritable instruction de l’affaire, laquelle implique un certain degré d’évocation et de dévolution. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer les nouveaux textes français avec l’article 14, al 5 du Traité Ohada qui donne une coloration particulière à la CCJA en prévoyant « qu’en cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond ». L’évocation entraîne un véritable pouvoir d’instruction. Il convient néanmoins d’insister sur ce que, même dans ce cas, elle ne remet pas en cause la nature de juge du droit de la CCJA, la cassation restant une figure très minoritaire et, surtout, le raisonnement et la démarche retenus s’imposant aux juges du fond.
En réalité, avec le mouvement de la Révolution française, une bonne partie de l’analyse des juristes français est handicapée par une culture de déni ou de négligence des réalités qui conduit (conduisait ?) à magnifier l’abstraction jusqu’à l’absurde, sans aucune considération pour les intérêts en jeu ou les questions pratiques.
Que l’on songe, par exemple, que traditionnellement, la cassation avec renvoi (écrasante majorité des cas de cassation) remet les parties dans la position d’avant cassation, y compris quand le juge d’appel a ratifié purement et simplement la décision du premier juge ; la chose impose alors à la partie qui triomphe en cassation un second appel du fait de la menace du premier jugement qui aurait dû être invalidé par voie de conséquent ; or dans bon nombre de cas, la personne qui obtient cassation de la position des juges du fond souhaiterait que l’on s’en tienne à la simple neutralisation des décisions qui l’ont condamnée. En présence d’éléments relevant de l’instruction effectués par les juges du fond, la Cour de cassation pourrait déjà trancher sur le fond, dans une bonne part des affaires.
Prise à la lettre, sur ce plan, la nouvelle rédaction de l’article L. 411-3, al. 2 du COJ n’apporte absolument rien de nouveau… Quelle différence avec la précédente rédaction, à savoir : « Elle peut aussi, en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée » ? Mais l’auteur de la première chronique a complètement raison, avec d’autres commentateurs, de souligner qu’il y aura un bouleversement de la pratique de la Cour de cassation. Il en eût sans doute été de même avec la rédaction précédente. Mais peut-être que la modification cosmétique vient compléter de manière symbolique une mutation essentiellement impulsée par le premier président de la Cour de cassation, Monsieur Louvel, et par d’autres hauts magistrats, pour tenir compte de l’isolement croissant que le droit européen commençait à infliger à la doctrine judiciaire française.
Du coup se dégage un ensemble cohérent avec le principe de proportionnalité, le revirement pour l’avenir, une motivation moins expéditive et mois arbitraire et, enfin, la fin des cassations avec renvoi purement artificiel. Peut-être, un jour, s’y ajoutera l’expression individuelle des juges dans le cadre d’une collégialité. Se refermerait alors, sur ce plan, la longue parenthèse ouverte par la Révolution française et par le régime napoléonien visant à réduire le juge à un rôle de presse-bouton appliquant des dispositions de la loi.
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Publié in France Ohada droit, notes de lecture, mars 2017