1°) Immunité étatique absolue à Hong Kong ; intérêts essentiels de la Chine ; minerais contre infrastructures ; renonciation à l’immunité (non) ;
2°) activités propres et gestion autonome (oui) ; confusion des patrimoines avec la RDC (non); fictivité (non) ; imputation des dettes de la RDC à la GECAMINES (non) ; nécessité de circonstances extrêmes ;
[trad.libre, F. Ekollo] ─ En vertu de principes légaux et constitutionnels, la Région administrative spéciale de Hong Kong (SAR) ne peut qu’appliquer la doctrine de l’immunité absolue des Etats, en cohérence avec la position du reste de la Chine ; […] Rien n’indique que l’Etat du Congo Kinshasa (RDC) ait renoncé à cette immunité devant les juridictions de Hong Kong (1reespèce, point 183).
Court of Final Appeal Hong Kong, 8 June 2011, Democratic Republic of the Congo (and others) v FG Hemisphere Associates LLC, FACV Nos 5, 6 & 7 of 2012, 1re espèce[1].
Note Faustin Ekollo, docteur en droit
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[trad. F. Ekollo] ─ L’analyse juridique de la situation de la GECAMINES pose une question essentielle : savoir si les circonstances établissent que la personnalité morale ainsi que la gestion et le patrimoine théoriquement séparés de cette entité manquent tellement de substance et de réalité que l’on pourrait assimiler la GECAMINES à l’Etat indifféremment. […] En admettant que la GECAMINES soit soumise par l’Etat [RDC] à des abus, ces violations de la personnalité morale pourraient justifier une action des associés et des créanciers de la GECAMINES. Mais cet état des choses vigoureusement critiqué par FG HEMISPHERE ne saurait justifier que FG HEMISPHERE soit autorisée à s’emparer des avoirs de la GECAMINES de manière similaire, voire plus importante, pour causes de dettes de la RDC. En droit international comme en droit interne, on ne peut percer l’écran de la personnalité morale que dans des circonstances particulièrement adaptées et justifiées […] La Cour d’appel a fait une fausse application des principes en estimant que la GECAMINES était une simple émanation de l’Etat susceptible de répondre des dettes de ce dernier. Par ces motifs casse… (2e espèce, points 74, 77 & 78).
Privy Council, Appeal n° 0061 of 2011, 2012, UKPC 27, La Générale des Carrières et des Mines (GECAMINES) v FG Hemisphere, 17 juillet 2012, 2e espèce[2].
NOTE ─ L’odyssée judiciaire internationale entre le Congo-Kinshasa et le hedge fund américain FG HEMISPHERE s’exprime dans des dizaines de décisions à travers de nombreux pays. Les deux espèces ci-dessus, commentées ensemble, ont une importance particulière en tant que décisions de principe rendues par des juridictions suprêmes de deux places financières mondiales de tout premier ordre.
Avec 531 paragraphes et 186 notes de bas de page sur 201 pages, l’arrêt de la Cour Suprême de Hong-Kong est le plus long et le plus complexe. Il tranche plusieurs grandes questions[3]. L’enjeu de droit constitutionnel chinois, un pays-deux-systèmes[4] n’est pas examiné ici[5].
Dans la seconde affaire, devant le Privy Council, se posait uniquement la question de savoir si la GECAMINES, société contrôlée par l’État du Congo Kinshasa, devait répondre des dettes de ce dernier en vertu d’une allégation de simple émanation de l’Etat.
Les deux affaires ont une origine commune.
Dans les années 80, une société ENERGO INVEST, société yougoslave à l’époque, signa des contrats avec l’alors République du Zaïre et avec la Société Nationale d’Electricité de la République du Zaïre. ENERGO INVEST acceptait de faire crédit pour 15,18 millions de dollars et ensuite pour 22,5 millions de dollars. Le contrat était destiné à une installation hydro électrique avec la construction de lignes à haute tension. Les conventions contenaient des clauses d’arbitrage à Paris et à Zurich, respectivement.
En 2001, face à la défaillance financière du Congo Kinshasa et de la Société Nationale d’Electricité, la société ENERGO INVEST entama des procédures d’arbitrage. La société FG HEMISPHERE ASSOCIATES, un hedge fund, racheta en 2004 les créances de la société ex-yougoslave et entreprit de recouvrer cette somme avec intérêts et frais en Europe, en Amérique du nord, en Afrique et en Asie.
Dans l’intervalle, la République de Chine et le Congo Kinshasa aboutirent à un accord de développement d’infrastructures. La Chine et des compagnies chinoises financeraient et assureraient la construction massive d’infrastructures. La première tranche d’infrastructures comprenait la construction, la réparation, et la modernisation de 3000 km de chemin de fer, 3400 km de routes asphaltées, 550 km de voies urbaines, de milliers de chambres et de lits d’hôpitaux répartis dans 26 provinces, 150 centres de santé ayant chacun une cinquantaine de lits, des barrages hydro électriques, de nouvelles universités, des centres de formations et deux aéroports internationaux[6].
La contrepartie était constituée d’importants droits d’exploitation sur certaines ressources minérales du Congo Kinshasa[7].
Des contrats complémentaires prévoyaient la formation de sociétés communes (joint venture). Plusieurs sociétés chinoises de chemin de fer ou de construction hydroélectrique prirent part au projet. Du côté congolais, outre l’Etat, la GÉCAMINES participait à la constitution de différentes sociétés communes.
Le lancement des projets devait être matérialisé par le paiement de royalties de 350 millions de dollars au Congo Kinshasa.
C’est sur cette somme que la société FG HEMISPHERE a entamé une procédure de saisie à Hong-Kong, sur le fondement de sentences arbitrales qui avaient été prononcées in absentia à Paris et à Zurich. Avec les intérêts et différents frais, le total des arriérés était désormais d’environ 104 millions de dollars. En défense se trouvaient le Congo Kinshasa (République Démocratique du Congo), China Railway Group Hong-Kong Ltd, China Railway Ressorts Dvt Ltc, China Railway Sino Congo Ltd, China Railway Group Ltd et le ministère de la justice de Chine.
Dans des temps voisins, la société FG HEMISPHERE poursuivait la société GÉCAMINES devant les juridictions de Jersey en avançant que la GECAMINES était une simple émanation de l’Etat Congolais susceptible d’être tenue des dettes de ce dernier. C’est cette procédure qui s’est achevée par l’arrêt du Privy Council commenté.
Devant les juridictions de Hong-Kong la question centrale était de savoir si l’Etat du Congo bénéficiait d’une immunité d’exécution absolue ou d’une immunité relative ; une question complémentaire était de savoir si l’État congolais avait renoncé à son immunité du fait des clauses et règlements d’arbitrage. On rappelle que le point de droit constitutionnel chinois, un-pays-deux-systèmes qui fut l’un des enjeux, n’est pas examiné ici.
A Hong-Kong et à Londres (recours de la cour d’appel de Jersey devant le Privy Council), le Congo Kinshasa et la société congolaise GECAMINES bénéficièrent de décisions de censure. Mais dans chacun des cas, les divergences entre les juges du fond et les juridictions suprêmes ressemblent à un mouvement de la dialectique de Hegel.
A Hong-Kong, les premiers juges du fond avaient d’abord considéré que l’ensemble de l’opération projetée, loin d’être commerciale, concernait la reconstruction d’un pays détruit par des années de guerre. La mise en place d’infrastructures vitales à une très grande échelle était la manifestation d’un acte de souveraineté sans équivalent en matière commerciale. L’ensemble devait donc bénéficier de l’immunité absolue et les royalties dues par la Chine participaient de la même souveraineté. Ensuite, une cour d’appel divisée estima qu’il convenait de ne retenir qu’une immunité relative en raison de la nature commerciale du dossier ; elle ajoutait que, de surcroît, les clauses et règlements d’arbitrage prévoyaient une renonciation aux immunités étatiques.
La Cour Suprême de Hong-Kong, par une majorité de 3 contre 2, retint la thèse de l’immunité absolue[8] car, entre autres, les conséquences de l’affaire pouvaient avoir des répercussions fâcheuses sur les relations importantes entre la Chine et le Congo Kinshasa[9]. Or, en matière d’affaires étrangères, la Chine avait toujours eu comme position l’application d’une immunité absolue, en dépit de sa signature de la convention des Nations Unies sur les immunités de 2004, laquelle n’était pas encore entrée en vigueur. Il existe une doctrine juridique asiatique abondante en ce sens[10]. La Cour Suprême de Hong-Kong relevait, en plus, que la renonciation à l’immunité étatique devait être sans équivoque et, de préférence, faite devant la juridiction elle-même (in the face of the Court).
Devant le Privy Council, la question était de savoir si la GÉCAMINES était une simple émanation de l’Etat du Congo Kinshasa, susceptible de répondre des dettes de ce dernier.
En se fondant principalement sur l’analyse dégagée par la jurisprudence Trendtex[11] et sur l’arrêt Banco Para el Comercio Exterior de Cuba (Bancec) de la Cour suprême des États-Unis[12], les juridictions du fond à Jersey avaient considéré que la GECAMINES était une simple émanation de l’Etat congolais (alter ego), pouvant être tenue de ses dettes.
A Londres, le Privy Council parvint, à l’unanimité, à des conclusions inverses.
Il exprime d’abord des doutes[13] quant au bien-fondé de la jurisprudence Banco Para el Comercio Exterior de Cuba. Dans cette affaire, la Cour suprême des États-Unis avait donné gain de cause à la First National City Bank qui cherchait à recouvrer contre la banque cubaine des créances à la suite des expropriations survenues lors de la révolution cubaine de 1959. Le motif central était que l’État cubain possédait un contrôle total sur ladite banque ; il convenait donc, selon la Cour suprême des États-Unis, de passer outre la personnalité morale de la banque cubaine. Cet arrêt de la Cour suprême des États-Unis a souvent été critiqué comme étant fondée sur des mobiles essentiellement politiques[14].
Pour rejeter les protestations de FG Hemisphere, le Privy Council affirme d’abord, que les statuts de société à capitaux mixtes de la GECAMINES ne sont pas déterminants, sauf à priver de personnalité morale toute société publique dans les pays à économie dirigiste[15]. Le Privy Council met en avant qu’il faut des circonstances extrêmes pour passer outre les présomptions découlant de la personnalité morale[16]. De telles circonstances n’existent pas dans le fonctionnement de la GECAMINES. Ainsi, selon Le Privy Council, la GECAMINES a une réelle activité qui s’étend sur des années dans différents domaines sans que l’on puisse dire que celle-ci est confondue de quelque manière que ce soit avec l’Etat ou l’exécutif du Congo Kinshasa. L’arrêt relève même à plusieurs reprises, des mises en demeure, voire des actes de saisie de la part de l’administration fiscale congolaise à l’encontre de la GECAMINES.
La jurisprudence française va dans le même sens; ainsi, la Cour de cassation estime, dans une affaire de saisie conservatoire d’un navire appartenant à une société publique pour paiement d’une créance sur l’État angolais, que le critère du contrôle de l’État sur une société est insuffisant pour en faire une émanation[17] susceptible de répondre des dettes de l’État. C’est la même jurisprudence qui s’imposa dans l’affaire Noga concernant une créance sur l’État russe[18].
Du coup, on n’est pas surpris lorsque le Privy Council, s’appuie sur la jurisprudence récente de la Cour de Cassation pour signaler les hypothèses dans lesquelles on pourrait percer l’écran de la personnalité morale. En l’occurrence, sont cités deux parfaits exemples de circonstances extrêmes : les affaires SNPC et SNH[19]. Ces sociétés géraient respectivement les avoirs pétroliers du Congo Brazzaville et du Cameroun dans des circonstances extrêmes à tous points de vue ; « the facts were on any view extreme ». Le Privy Council conclut que ces deux sociétés n’avaient aucune existence séparée des Etats dont ils étaient de simples émanations:
In contrast, in two recent decisions […]the account of the facts given by the Cour de cassation makes it possible to regard these as cases involving circumstances in which SNPC and SNH, although in law separate juridical entities had, in reality, no existence separate from that of Congo-Brazzaville and Cameroon[20].
Certes, la société américaine avait présenté une argumentation subsidiaire troublante : selon FG HEMISPHERE, la société GTL, société de droit congolais, et la société GECAMINES ne pouvaient pas avoir de si importantes sommes (plus de 200 millions $) sur des comptes à l’étranger si ce n’est pour permettre à l’Etat du Congo Kinshasa et à ses dirigeants d’en disposer librement, « unceremoniously », sans égard pour les intérêts nationaux. Dans le point 77 de l’arrêt, un Privy Council manifestement exaspéré répond qu’il s’agit-là d’une argumentation en tous points contraire à toutes les règles de droit interne et de droit international en matière de personnalité morale. Les libertés que prend l’Etat du Congo Kinshasa (et ses dirigeants) justifieraient des réactions du peuple congolais ou des actionnaires et créanciers de la GECAMINE ; cela n’autorise absolument pas la société FG Hemisphere à piller également le patrimoine de cette pauvre société !
Fermez le ban !
Manifestement, dans les deux affaires commentées, les deux juridictions suprêmes ne souhaitaient pas que FG HEMISPHERE puisse appréhender les biens de l’Etat congolais ou de la GECAMINES. Les deux décisions doivent être complètement approuvées même si elles laissent certains points dans l’ombre.
La Cour Suprême de Hong-Kong ne fait pas mystère de son choix d’une voie qui préserve les intérêts fondamentaux de la Chine. La législation américaine, Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA) de 1976 et son équivalent anglais SIA de 1978 sont présentés comme n’engageant en rien la juridiction de Hong-Kong ou la conception que l’Etat Chinois peut se faire de l’immunité des Etats étrangers[21].
La majorité dans la décision de la Cour Suprême de Hong-Kong a tenu à faire apparaître que l’évolution vers une doctrine d’immunité relative[22] en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis s’explique par des considérations liées aux intérêts de ces pays et constitue une rupture délibérée du principe d’égalité entre nations[23].
La Cour suprême de Hong Kong expose, dans son point 280, que l’évolution rapide des relations entre la Chine et l’Afrique, durant cette dernière décennie, est connue de tous. Cette évolution implique des accords internationaux sur une très grande échelle, avec des échanges de type minerais-contre-infrastructures. En cela, poursuit la Cour suprême de Hong Kong, la politique de la Chine diffère visiblement de celle de plusieurs autres pays[24]. Du coup, le choix de la règle de l’immunité absolue respecte le principe d’égalité entre nations[25] tout en sauvegardant les intérêts de la Chine pour laquelle il est vital d’accéder à certaines ressources naturelles sans être exposée à des représailles très dommageables.
L’indépendance[26] de la conception de l’immunité exprimée par la Cour suprême de Hong Kong reflète aussi l’émergence d’un monde juridique, politique et économique multipolaire[27]. Ce n’est pas un hasard si l’American Society of International Law fait de la multipolarité le thème de sa session de 2013[28]. Et certaines analyses commencent à prôner la mise en place d’une lex mercatoria spécifique aux relations sino-africaines[29], tout en remettant en cause la domination des centres d’arbitrage occidentaux[30]. La chose ne surprend pa s au regard de la véritable révolution du commerce mondial qui se met en place à travers le FOCAC[31]. Et ce n’est pas le fruit du hasard puisque, au-delà du cas chinois, ce mouvement de remise en cause de la prépondérance historique des vieilles nations occidentales dans l’élaboration de la norme internationale s’exprime de manière de plus en plus structurée[32].
L’arrêt de la Cour suprême du Hong Kong reflète donc, au-delà des techniques du droit international et des procédures d’exécution, une véritable affirmation de soi de la Chine dans l’élaboration du droit internationale[33] ; on pense au thème du pouvoir symbolique de P. Bourdieu que développe un ouvrage dont la presse financière et juridique britannique a publié les bonnes feuilles[34]. Cette forte affirmation de soi érode un peu la Convention des Nations Unies sur les immunités de 2004 dont la Chine est signataire mais qui a été essentiellement conçue par des juristes occidentaux[35]. Cette Convention du 2 décembre 2004 n’est pas encore entrée en vigueur, certes. Mais on sait qu’une convention qui n’est pas encore entrée en application peut valoir droit coutumier[36] et qu’elle doit être respectée par ses signataires. On reconnaît là l’expression presque littérale de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités selon laquelle un Etat partie à un traité doit s’abstenir d’actes qui pourraient contrarier ledit traité avant son entrée en vigueur[37].
On observe toutefois que la notion d’immunité restreinte telle qu’elle apparaît dans la Convention des Nations Unies sur les immunités est loin d’apporter un éclairage décisif à la présente affaire. En effet, en rapprochant son article 10, § 2 (a) de l’affaire commentée, on voit mal ce qui aurait permis de lever l’immunité du Congo Kinshasa au moment où il effectuait une transaction avec un autre État[38]. Ce texte dispose que l’exception de transactions commerciales ne s’applique pas dans le cas d’une transaction entre États. On peut donc douter de la commercialité de la convention entre la Chine et le Congo Kinshasa ; en effet, en selon l’article 2, § 1 (c) de la Convention des Nations unies sur les immunités :
[…] L’expression « transaction commerciale » désigne : […] Tout contrat ou transaction de caractère commercial pour la vente de biens ou la prestation de services ; […] Tout contrat de prêt ou autre transaction de nature financière, y compris toute obligation de garantie ou d’indemnisation en rapport avec un tel prêt ou une telle transaction ; […] Tout autre contrat ou transaction de nature commerciale, industrielle ou portant sur la fourniture de biens ou de services, à l’exclusion d’un contrat de travail.
En quoi le gigantesque et complexe accord entre les deux Etats peut-il être considéré comme une transaction commerciale ? En réalité, il aurait fallu considérer que l’immunité absolue s’applique en raison du caractère étatique de la transaction entre la Chine et le Congo Kinshasa[39]. Inutile de préciser que la nature commerciale de la relation entre le Congo Kinshasa et ses créanciers ne sauraient déteindre sur le caractère interétatique des conventions Chine-RDC.
S’agissant de la question de la renonciation à l’immunité exprimée dans les articles 7 et 8 du texte de la Convention des Nations Unies sur les immunités, son application au litige n’aurait pas, non plus, permis le résultat recherché par le fond FG Hemisphere. En effet, ces articles exigent une renonciation spécifique comme l’indique d’ailleurs l’intitulé de l’article 7 : « consentement exprès à l’exercice de la juridiction ».
Certes, l’article 17 de la Convention onusienne sur les immunités des Etats semble admettre une renonciation implicite de l’immunité de juridiction dans les hypothèses liées à l’arbitrage. Mais les articles 18 et 19 rappellent que la renonciation aux immunités d’exécution doit être explicite et spéciale. En d’autres termes, si on peut hésiter en ce qui concerne les immunités de juridiction[40], il semble exclu que la renonciation aux immunités d’exécution puisse s’effectuer par une stipulation peu lisible au milieu de nombreuses clauses d’une convention d’arbitrage[41]. Il faut néanmoins appeler les praticiens et les juristes d’entreprise ou d’administration à la plus grande attention lorsqu’il acceptent des conditions générales : il faut les lire et relire intégralement, prendre connaissance des renvois et exclure éventuellement de manière explicite ce qui ne convient pas[42]!
La société FG HEMISPHERE est ce que l’on appelle désormais de manière commune un « fonds vautour ». Ces fonds ont reçu une attention planétaire lors des primaires républicaines pour la présidence étasunienne de 2012, les adversaires de Mitt Romney le critiquant dans son rôle dans le hedge fund Bain Capital comme étant un « vulture capitalist »[43]. Et on apprit, de manière déterminante pour l’élection présidentielle, que Mitt Romney et plusieurs de ses soutiens avaient joué un rôle de prédateur désastreux pour l’industrie automobile US dans l’affaire Delphi Automotive, réalisant des profits proprement indécents de 3 000 %[44].
Ces fonds vautours rachètent des créances dévaluées[45] et en poursuivent ensuite la valeur totale augmentée des intérêts et frais de toute sorte. Les actions judiciaires des fonds vautours n’ont pas de limite en termes de style ou de montant de frais engagés. Des dizaines de juridictions peuvent être saisies en même temps ou successivement. Or les poursuites concernent parfois des biens radicalement insaisissables comme les comptes bancaires d’ambassades[46], des immeubles diplomatiques[47], voire, dans le cas le plus caricatural, la saisie d’un navire militaire argentin au Ghana au motif que le contrat de base contenait une renonciation claire et précise aux immunités d’exécution [48].
Dans les deux affaires commentées, le montant pour lequel la dette congolaise avait été rachetée par FG Hemisphere à la société yougoslave est resté secret. La grande presse britannique évoque une somme de 3 millions de dollars (pour aboutir à des poursuites d’un montant supérieur à 120 millions de dollars) ; or de nombreux commentateurs estiment que l’action des fonds vautours respecte le droit en général.
Il s’agit d’une opinion contestable.
Il faut d’abord laisser de côté la question de la dette odieuse qui complique inutilement les débats en introduisant une dimension morale exacerbée[49]. Ce n’est pas non plus le lieu de discuter du train de vie de certains dirigeants africains[50].
Trois principales objections sont possibles à l’encontre des actions des fonds vautours, en général ; elles peuvent être combinées:
Outre un fondement coutumier, l’exception d’ordre public (public policy, public order[52]) découle de la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales[53] ; on peut aussi citer l’accord du GATT, article XX (a). L’état de nécessité qui est proche de l’ordre public par sa nature est exprimé dans l’article 25 du projet de la Commission de Droit International sur la responsabilité des Etats. Un Etat devrait pouvoir l’invoquer dans le cadre du réaménagement de sa dette lorsqu’il est confronté à des difficultés qui mettent en cause la cohésion nationale[54].
L’exception d’ordre public avait été admise par le premier juge dans l’affaire de Hong-Kong. Elle a été ensuite rejetée par la cour d’appel de Hong-Kong de manière très expéditive, la majorité affirmant simplement ne percevoir aucun élément d’ordre public. La chose laisse songeur dans la mesure où le Congo Kinshasa est en pays en reconstruction après une longue guerre civile. Si un programme de reconstruction dans ses différentes composantes ne peut être protégé au nom de l’ordre public, quand est-ce que l’on pourrait alors théoriquement l’invoquer ?
Certains commentateurs favorables aux demandes de FG HEMISPHERE tenaient pour négligeables les conséquences possibles à l’égard de la nation congolaise, se préoccupant surtout du prestige de la place de Hong Kong[55]. Or, à cet égard, on peut aussi s’étonner que les hedge funds puissent triompher en ce qui concerne le calcul des sommes qui leur seraient dues. Des intérêts conventionnels excessifs ou des frais liés à de trop nombreuses poursuites devraient permettre la limitation judiciaire, voire le rejet de la demande[56], même en admettant le principe des dommages et intérêts punitifs, comme c’est désormais le cas en France[57].
Contrairement à ce qu’affirment parfois les juristes français, la Common Law connaît parfaitement la réduction des intérêts lorsqu’ils s’apparentent à des pénalités[58]. S’agissant des frais, le fait d’intenter parallèlement et/ou successivement des dizaines de procès devrait faire l’objet d’une défense systématique en terme de collateral estoppel. Cet estoppel interdit de poursuivre de multiplier les procédures sur le même objet sans bonne raison. Mieux encore, lorsque le droit américain est en cause, s’agissant de la défense des Etats, il conviendrait de contester tous les frais et intérêts excessifs présentés par les Hedge Funds. En effet, leur effet démultiplicateur revient à infliger de véritables dommages et intérêts punitifs ; or ceux-ci sont interdits à l’égard des Etats[59].
Il reste, s’agissant de la cession et de la circulation des créances, la question très complexe et controversée des retraits litigieux, pour recourir à la terminologie de l’article 1699 du Code civil selon lequel celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite.
En droit français, ce retrait est limité par les conditions de l’article 1700 du Code civil et par la faible culture de circulation des créances et autres titres financiers. En droit comparé et en droit international, le potentiel d’application des différents estoppels et l’immense pratique de la circulation des créances, spécialement dans les chaînes de contrats[60], confère une très grande force au retrait litigieux, susceptible de moduler les conséquences des poursuites fondées sur des cessions de créances de type « a penny for a dollar ».
La mondialisation et la crainte de risques systémiques conduisent néanmoins les juridictions à ménager les déposants institutionnels. Cela explique en partie la mise en place de législations contre les fonds vautours[61]. C’est surtout la raison d’être des législations qui protègent dorénavant les banques centrales contre les poursuites dans tous les pays[62]. Certains pays allant encore plus loin ; ainsi, au Tchad, en s’appuyant sur l’article 51 de l’acte uniforme Ohada sur les voies d’exécution, il est prévu que les sommes déposées par les banques implantées sur le territoire national dans leurs comptes à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale sont insaisissables jusqu’à épuisement de toutes les voies de recours[63].
Il reste choquant de voir un Etat, hors cataclysmes ou guerres, ne pas payer ses dettes[64]. La doctrine africaine fustige cette manière de se comporter[65]. Et les tribunaux africains condamnent les Etats sans complaisance[66]. L’une des décisions les plus remarquables dans ce sens, fut rendue par la High Court du Fako à Buea.─ F. Ekollo