Note de lecture,
Maître Patricia Suid
Avocat au Barreau de Nice, suidpat@gmail.com
Un avenant sous seing privé prorogeant une ligne de crédit initialement intégrée dans un titre exécutoire notarié peut-il permettre la mise en œuvre de ce dernier, pour une saisie immobilière ? Oui, selon la Cour de cassation… Mais la réponse est contorsionnée et peu convaincante, malgré le renfort d’un visa des articles 1271 et 1273 du code civil, devenus 1329 et 1330. Cet arrêt qui n’est pas référencé au Bulletin des arrêts ni au BICC est néanmoins rédigé avec des allures d’arrêt de principe et il casse un arrêt d’infirmation soigneusement motivé.
Reproduisons le raisonnement de la Cour de cassation dans un arrêt riche qui soulève plusieurs points de droit, dont certains ont été renouvelés par les réformes récentes du Code civil :
Attendu que pour infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré la procédure de saisie immobilière recevable, dire que la banque ne bénéficiait pas d’un titre exécutoire et la déclarer irrecevable en sa procédure de saisie immobilière, l’arrêt retient que le contrat du 5 juillet 2012 ne comportait aucune référence à l’acte notarié du 10 septembre 2008, et que même s’il venait en renouvellement de ce contrat, il ne pouvait être considéré comme faisant corps avec lui et constituait un contrat juridiquement distinct ne pouvant bénéficier de l’extension du caractère authentique de l’acte initial ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher si les parties avaient, par cet avenant, qui renouvelait la ligne de crédit consenti par l’acte authentique initial, entendu opérer une substitution d’obligation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
La cour d’appel avait éliminé la notion d’ensemble contractuel indivisible, évoquée par la mention d’actes ne « faisant pas corps »[1]. Elle avait aussi explicitement écarté toute idée de novation. Par ailleurs, la discussion ne portait guère sur les exceptions opposables par la caution hypothécaire[2].
La note commentée fait le tour des subtilités du point de vue des parties, y compris les hypothèses d’avenants et de parallélisme des formes étudiées dans des thèses. On reste sceptique : la solennité liée à la forme authentique découlant d’un acte notarié exécutoire ne relève ni du consensualisme, ni de la novation.
Il faut insister sur ce que les qualités de l’acte authentique se conjuguent mal avec une prétendue volonté informelle des parties.
Du point de vue strictement juridique, il est difficile de comprendre ce qui a bien pu convaincre la Cour de cassation de l’opportunité d’un tel libéralisme à l’endroit d’un acte authentique exécutoire. Les désordres de l’agencement juridique que pourrait entraîner ce type d’arrêts sont palpables. Doit-on prendre acte de ce que, sur le fondement d’un acte sous seing privé, le créancier peut obtenir une hypothèque judiciaire provisoire, sans passer par le juge ?
C’est que la décision ouvre un boulevard d’incertitudes ; jusqu’où peut aller une prorogation volontaire d’un acte notarié, dans le temps et en termes de substance ? Comment utilisera-t-on désormais le fichier immobilier : faudra-t-il se lancer préventivement dans l’une des nouvelles actions interrogatoires du Code civil[3] pour bien être sûr que les effets d’un acte authentique publié n’auront pas été modifiés par acte sous seing privé ? Heureusement que l’importance de cet arrêt qui n’est pas destiné à la publication est à relativiser.
Prise à la lettre, la décision de la Cour de cassation laisse l’impression fâcheuse qu’un acte exécutoire peut être créé par la seule volonté des parties, en contradiction directe avec l’article L. 111-3 CPC ex. qui énumère de façon limitative les titres exécutoires (à compléter par les titres définis par le Livre des procédures fiscales). La note commentée rappelle que le JEX ne peut guère créer un titre exécutoire de toute pièce.
Bien entendu, on suppute que la Cour de cassation n’ait pas accepté la magnitude du mauvais tour que les débiteurs déloyaux voulaient jouer à la banque. La banque aurait néanmoins été mieux inspirée de procéder par réitération du titre sous forme de requête en hypothèque judiciaire provisoire, suivie d’un contentieux classique qui aurait été relativement dépouillé, sans qu’il faille que la Cour de cassation soit la providence de la banque, au prix de contorsions de mauvais goût.
Mais il y avait peut-être plus expéditif, et moins artificiel, par une voie que l’on commence à connaître depuis une douzaine d’années dans l’Hexagone. En relecture, la rédaction du site fait observer que la banque avait une possibilité de tenir compte de la volonté et du comportement des parties en recourant à l’estoppel[4] et précisément au proprietary estoppel, dès le stade des juges du fond.
Cette notion d’estoppel en action, et non comme simple défense habituellement, est exprimée dans un arrêt a contrario de la Chambre des Lords (devenue Supreme Court of UK) Cobbe v Yeoman’s Row Management Ltd[5], avec de nombreuses études[6]. Elle aurait permis de rendre irrecevable les défenses fondés sur les imperfections du titre exécutoire, compte tenu de l’attente légitime de la Banque qui ne devait pas souffrir des contradictions des débiteurs, et en l’absence d’intérêts tiers, en tordant moins les catégories juridiques.
Membres permanents du site France Ohada Droit
Publié in France Ohada droit,