Loi de finances 2021[2] et comparaisons des présentations régionales : Algérie, Mali, Maroc, Sénégal
_________________________________________
Lecture par
_______________________________________
واعلموا أنماغنمتم من شيء فأن لله خمسه وللرسول ولﺫى القربى واليتامى والمساكين وابن السبيل اِن كنتم امنتم بالله وماأنزلناعلى غبدنايوم الفرقان يوم التقى الجمعان والله على كل شيء قدير « Al-Anfal » verset 41
Taxes are what we pay for a civilized society[3] (Olivier Wendell Holmes, juge à la Cour suprême U.S au début du 20e siècle).
____________________________________
RENOUVEAU DE LA LEGITIMITE DE L’IMPOT ET COVID-19
En Belgique et au Luxembourg, on recourt officiellement à l’appellation traditionnelle de budget pour évoquer l’ensemble complexe des ressources et dépenses de l’Etat, selon une périodicité annuelle complétée par des schémas pluriannuels. C’est la même terminologie au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou dans l’Union Européenne. En France, la loi adoptant le budget national s’appelle la loi de finances, depuis 1959. L’appellation s’est ensuite complexifiée, devenant loi organique[4] relative aux lois de finances, LOLF. Les éléments de la terminologie française ont été repris en Mauritanie, comme dans d’autres pays à culture juridique française.
Il s’agit du rituel législatif, économique et comptable le plus important de la Nation. Le budget de l’Etat est scruté dans tous les pays par un très grand nombre d’observateurs, à ses différents stades. Cette année, dans les 5 Continents, les analyses ont, en plus, procédé à l’identification des points liés au contexte sanitaire Covid-19. Cette fois-ci, il y avait une dimension psychologique exceptionnelle. En effet, face à cette crise sanitaire, les défenses mises en place par divers gouvernements ont fortement ému, au point de donner un renouveau ou un surcroît de légitimité populaire à l’impôt. Cela explique les deux citations mises en exergue.
L’examen de l’édition 2021 du Budget mauritanien invite donc aussi à évaluer l’impact de cette pandémie. Du coup, il devient particulièrement intéressant d’effectuer des rapprochements régionaux ou internationaux, en plus de la traditionnelle comparaison avec les budgets N-1 ou N-2.
Nous présenterons successivement :
Sur le plan de la forme, le texte mauritanien de la loi de finances pour 2021 est beaucoup plus long que les précédents : 33 pages en 2020 contre 258 (ou 272 dans la version électronique) en 2021. On est frappé par cette augmentation exponentielle. On vérifie qu’en 2020 il ne s’agissait pas d’une simple loi de finances rectificative. Non, il s’agissait bien de la loi de finances initiale pour 2020 ! Pour faire bonne mesure, on jette un coup d’œil au budget 2019 : 6 pages. La tendance exponentielle est donc confirmée. Cette évolution peut s’expliquer par une présentation à la fois plus transparente et, surtout, plus détaillée. En effet, si l’on ampute la présentation du budget de 2021 de son annexe détaillée, il n’y a plus que 24 pages. Cela relativise l’augmentation en pagination, d’autant que la présentation n’est pas la même qu’en 2020.
A côté de l’augmentation en volume, il y a un véritable saut qualitatif, et pas seulement au niveau du graphisme, avec l’arrivée de nuances de couleurs. La présentation du budget d’investissement est une nouveauté particulièrement intéressante, avec plusieurs classifications dont le détail figure en annexe. L’œil est spécialement intéressé par une rubrique sur les investissements réalisés sur financements extérieurs. Cet aspect des choses mériterait une analyse sérieuse ; mais il ne sera pas commenté dans cette étude.
Une véritable table des matières apparaît, tant pour les grandes parties, qu’en ce qui concerne la centaine de titres budgétaires. Pour les versions en ligne, qui devraient devenir prioritaires, il faudra rendre les titres interactifs, dans les éditions à venir. Cette année, quelques parlementaires mauritaniens ont commenté l’exposé général des motifs, qui est bienvenu à plusieurs titres :
QU’EST-CE QUE LE TAHDIR ?
L’un des points les plus commentés de l’exposé des motifs fut, étrangement, le mot TAHDIR. Ce terme est mystérieusement employé dans le dernier paragraphe de l’exposé des motifs. Il renvoie, sans autre explication, aux dernières technologies de l’information. L’un des rédacteurs de la présente étude a été interrogé par un membre de la représentation nationale; il a dû expliquer que, dans le contexte du budget mauritanien, TAHDIR désigne simplement un logiciel conçu par la Direction du Budget ; il intègre toutes les composantes de la loi de finances, tout en assurant la compatibilité avec d’autres systèmes;
On pense au système qui qui contrôlent les traitements des fonctionnaires : le système RATEB ; on n’oublie pas le système RACHAT déployé dans toutes les wilayas. Ces explications figuraient dans la circulaire du 9 septembre 2020, en préparation du projet de loi de finances.
Le terme Tahdir est peut-être un emprunt inspiré par le Tahdhir des Risala. L’idée est culturellement heureuse ; elle aurait pu être explicitée d’une phrase dans l’exposé des motifs.
UN EXPOSE DES MOTIFS A COMPLETER PAR UN BUDGET-CITOYEN
Tout en étant bienvenu, l’exposé des motifs de la loi de finances en Mauritanie appelle des compléments. La nécessité d’un ou de plusieurs compléments vient de ce que l’exposé des motifs ne prend en considération que les parlementaires, pratiquement. Il ignore, à bien des égards, l’exigence d’informer le plus grand public par des procédés simples. Par ailleurs, l’exposé des motifs ne se préoccupe pas assez d’être vendeur en termes d’image de marque de la Mauritanie, pour les décideurs économiques.
Pour l’année prochaine, l’exposé des motifs pourrait être complété par une note de présentation budgétaire ; cette technique permet plusieurs niveaux de lectures, pour un public plus vaste comprenant les décideurs économiques. Mais en plus, les autorités publiques mauritaniennes devraient ajouter un document simplifié, le budget-citoyen, évoqué plus loin. Toutes ces présentations budgétaires peuvent prendre des formes diverses. Ainsi, dans les nations les plus développées, la présentation peut être complexe.
En France, par exemple, dès le niveau du projet de LDF on compte plusieurs documents. En plus de l’exposé des motifs de la loi de finances, il y des rapports parlementaires, des avis de commissions spécialisées, des documents d’évaluation des principaux articles et un rapport d’impact économique, financier et social. Cette diversité est destiné aux parlementaires nationaux, à la Commission européenne, aux investisseurs et au rand public. Une fois la LDF adoptée, les mesures de communications sont complétées par un dossier de presse. Certains de ces documents figurent directement en annexe du projet de LDF ou de la loi promulguée, sur les supports électroniques ; d’autres se trouvent dans les documents budgétaires du Forum de la Performance de la Direction du Budget.
Aux Etats-Unis, les Analytical Perspectives, Fiscal Year (FY) 2021, ont plus de 300 pages. On peut aussi se reporter à des documents généraux ou spécifiques, venant du Bureau présidentiel du budget. Ensuite chaque département ministériel ou agence fédéral publie l’analyse des éléments du budget qui le concernent. Surtout, il existe dans ce pays des dizaines de think thanks (centres d’étude) dédiés en tout ou partie à l’analyse budgétaire fédérale. Ils possèdent un prestige et une autorité inimaginables en France et dans le monde francophone : Heritage Fondation, Cato Institute, Brookings Institute, American Association for Budget and Program Analysis (AABPA), Association for Budgeting and Financial Management (ABFM), Americans for Tax Fairness, American Enterprise Institute, National Bureau of Economic Research…
Il nous semble néanmoins que les meilleures comparaisons, pour la Mauritanie, viennent du voisinage immédiat : Algérie-Maroc-Mali-Sénégal. On examinera essentiellement les présentations des différents budgets de ces nations.
On remarque alors que la Mauritanie est le seul pays à ne pas publier de budget-citoyen. Cette pratique est pourtant particulièrement encouragée par le FMI depuis sa mise en exergue, dans le Manuel sur la Transparence des Finances Publiques, FMI 2007. Pour les citoyens, c’est la garantie d’un niveau élevé de transparence, d’intelligibilité et d’accessibilité. En effet, le budget-citoyen est un document budgétaire destiné à l’information et à la compréhension du grand public. Il est conçu en termes non-techniques, excluant tout jargon ou formule complexe. Pour aider à concevoir le budget-citoyen, l’association International Budget Partnership a publié un guide intitulé Le pouvoir de simplifier les choses.
La légistique[5], c’est-à-dire la technique de confection de lois et décrets, y gagne aussi en niveau d’attention. En ce sens, le budget-citoyen impose un travail d’introspection plus profond ; il évite ainsi au Législateur certaines erreurs que le climat d’entre-soi provoque dans les échanges entre le Gouvernement et la représentation parlementaire.
Certes, un important rapport d’Expertise-France de 2020 fait un commentaire approbatif d’une pratique informelle mauritanienne de consultation fiscale des parties prenantes; il souligne ainsi que :
Bien que cela ne soit pas prévu formellement, l’administration fiscale organise des rencontres avec les opérateurs du secteur privé sur les propositions de nouvelles mesures fiscales avant la finalisation du projet de loi de finances[6].
Il s’agit évidemment d’une pratique à maintenir et à encourager. Il faut néanmoins insister sur la nécessité de mettre en place des documents qui rendent le budget plus largement accessible, la technique de la consultation étant limitée par des contraintes matérielles et organisationnelles évidentes. Voici un panorama des présentations budgétaires dans les pays voisins de la Mauritanie, dans le cadre des budgets 2021.
On remarque, en comparant, qu’il existe désormais des éléments de fiscalité électronique dans les cinq pays, même si la Mauritanie et le Mali sont relativement décalés en matière de digitalisation.
Le Sénégal intègre à son projet de loi de finances pour 2021, ou ajoute à la loi promulguée :
Ce préambule-exposé des motifs a recours aux expressions annus horribilis[7] et guerre. Ces textes, très bien pensés, font un rappel des conséquences de la pandémie Covid-19 : signes de récession, chute de 23% des transferts financiers provenant des migrants, statistiques-choc des fermetures de PME… Et très bonne surprise : les titres de la table des matières sont interactifs. Le Sénégal est le seul pays à le faire dans ses documents budgétaires dans l’ensemble Algérie-Maroc-Mauritanie-Mali-Sénégal.
Du coup, la qualité et la sincérité d’ensemble permettent de ne pas trop prêter attention à certains développements aux accents de campagne électorale.
Il faut reconnaître qu’en général, les responsables du budget sénégalais ont réussi à trouver les voies et les mots pour garantir une adhésion populaire large et active. Ils rappellent d’ailleurs leurs bonnes pratiques depuis quelques années sous la forme de rapports trimestriels d’exécution du budget et de publication d’une note trimestrielle de conjoncture.
Ces documents ont fortement amélioré la confiance des citoyens dans les institutions. Ils permettent au Sénégal d’emprunter sur les marchés internationaux à des conditions d’intérêts nettement moindres. Cette qualité permet aussi de relativiser les polémiques (et parfois invectives) signalées par la presse sénégalaise à l’occasion des débats parlementaires, parfois passionnés, autour du budget.
On note aussi un élargissement des procédures de déclarations et de paiements électroniques.
Attention, la recherche plein-texte n’est pas encore possible dans les documents sénégalais en PDF ; cela est regrettable du point de vue des décideurs économiques.
Le budget 2021 du Maroc est introduit par une note de présentation, très bien conçue, et accompagné par un budget-citoyen. Ces documents budgétaires ont choisi un ton grave, cette année. On y trouve une analyse des conséquences de la pandémie Covid-19 sans faux semblants : le Maroc est à l’heure d’un plan de relance, avec des accents de guerre et de solidarité nationale ; le pays recourt à des tirages sur la ligne de précaution et de liquidités des fonds internationaux. Le choc est rude.
Les commentateurs marocains soulignent néanmoins les réactions nationales, avec une fierté évidente. Ici, il y a en effet une double crise : la pandémie Covid-19 a coïncidé avec une crise pluviométrique qui a entrainé des conséquences sérieuses dans le domaine agricole. Les décrochages moyens vont de 28 à plus de 55%, spécialement dans les secteurs liés à l’économie internationale ; le budget-citoyen signale même 77% de baisse dans le trafic aérien. Mais, en face, les rédacteurs du budget marocain affichent, par contraste, le maintien des transferts de la diaspora dont le tassement est d’à peine 2,3% ; ils mettent en exergue le gigantesque mouvement de contributions volontaires aux fonds Covid-19. Cet élan de solidarité national et les actions budgétaires ont permis de prendre en charge 5 millions de marocains et 50.000 entreprises…
Bien plus, le ministre des finances, lors de la présentation du projet de loi de finances 2021 devant le Parlement, a tenu à souligner que le Maroc allait accélérer la mise en place de l’élargissement de la protection sociale. Cet engagement semble en bonne voie malgré le paradoxe qu’il représente, face à la volonté du ministre des finances de réduire les déficits. D’ailleurs, la presse marocaine a unanimement salué l’approbation de la loi-cadre 09-21 relative à la protection sociale, par le conseil des ministres en février 2021, sans s’interroger, en général, sur la question des déficits.
De plus, analyses et réactions des autorités marocaines sont confortées par le FMI, dans son communiqué de presse n° 20/329, après une revue des contrariétés économiques, au titre de l’article IV des statuts du FMI. Deux points du communiqué peuvent être cités en ce sens :
Les autorités marocaines ont accéléré la digitalisation des procédures ; le paiement électronique en matière douanière devient même obligatoire. On est impressionné par la rapidité de la mise en place des déclarations électroniques des prix de transfert, dans le cadre des mesures anti-BEPS. Après la signature d’un accord avec l’OCDE en juin 2019, les observateurs tablaient sur une mise en place très progressive et longue… En revanche, la Parlement a considéré, à juste titre, que l’Administration brulait les étapes en matière de répression fiscale sous prétexte de rendre effective la législation sur les factures électroniques.
Mais, en dépit d’une excellente table des matières, les rédacteurs marocains ne se soucient pas encore de rendre les titres interactifs. On retrouve aussi cette défaillance dans le remarquable document de présentation grand-public du projet de loi de finances 2021, le Budget-Citoyen[8]. Il s’agit de négligences incompréhensibles au regard la qualité générale de la communication à destination des décideurs économiques nationaux et internationaux. Il faudra y remédier sans faute pour le prochain exercice.
La note de présentation du Budget Malien 2021 réussit à afficher une certaine sérénité tout en traitant de l’environnement international et du contexte de Covid-19. Le pays semble vouloir passer à la vitesse supérieure, avec une mise en place par pallier, en ce qui concerne les obligations et procédures digitales en matière fiscales. Les télédéclarations et télépaiements deviennent théoriquement possibles pour tous. Pour les grandes entreprises elles seront obligatoires à partir de juin 2021.
Les rédacteurs de la loi de finances du Mali, une fois n’est pas coutume, rompent avec les analyses économiques habituellement pleurnichardes des pays du Sud. Ils soulignent, au contraire, l’amélioration des termes de l’échange, compte tenu de la hausse de l’or. L’exercice est assez réussi, même si l’on peut s’étonner de la priorité donnée massivement à la poursuite des critères du FMI.
On est néanmoins rassuré par la présentation du budget spécial d’investissement (BSI) dont l’essentiel concerne les infrastructures. Sa présentation évite de mettre le FMI au centre des préoccupations, cette fois-ci. Il s’agit d’un budget-programme triennal découpé en tranches annuelles dont l’importance est soulignée par une présentation jumelle par rapport au budget général ; cette organisation donne à la direction nationale de la planification une importance considérable. Ce budget-programme semble faire partie d’un autre plan, quadriennale cette fois-ci ; cela ressort de la conclusion de sa présentation :
Le BSI 2021 s’inscrit dans la mise en œuvre du Cadre Stratégique pour la Relance Economique et le Développement Durable (CREDD) 2019-2023 ainsi que de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Il est nécessaire de rappeler que le BSI 2021 a été élaboré avec un certain nombre de contraintes dont : – la crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID 19 ; – les crises sociopolitique et sécuritaire ; […]
Pour l’ensemble des documents budgétaires maliens, on suppose que des titres et liens interactifs apparaitront l’année prochaine.
La communication écrite du budget algérien peut être améliorée. Ce budget est traditionnellement accompagné d’un communiqué de presse, affiché dans le site de la DGI. Mais, passée la première quinzaine de février 2021, il n’était pas encore disponible !
Par ailleurs, il faut introduire une table des matières dans le texte de la loi de finances, avec des titres interactifs. Actuellement, on tombe directement sur les articles ; cela en rend la consultation ardue.
Heureusement qu’un discours ministériel explique l’exposé des motifs du projet de loi de finances, devant le Conseil de la Nation. En plus de points pédagogiques, l’exposé ministériel a annoncé la fermeture de plus d’une trentaine de comptes d’affectation spéciale, en évoquant, par euphémisme : « une mobilisation inefficace des ressources budgétaires ». L’accent fut mis sur le caractère extrêmement social du budget 2021, pour faire face à la double-crise Covid-19 et hydrocarbures. Oui, car il faut relever que la chute du prix du pétrole s’est poursuivie ; on croyait que le plancher avait été atteint avec le baril à 50 $ en 2019 ; or les prix ont poursuivi leur descente jusqu’à 30 $, du fait du choc économique Covid-19.
Une autre heureuse initiative d’accompagnement de la loi de finances est une excellente interview télévisée de la Directrice générale des Impôts, sur un nouveau ton : la DG des impôts y insiste sur la recherche d’une large adhésion nationale à l’impôt. On y apprécie, entre autres points, de sérieuses mesures incitatives pour les start-up et incubateurs d’entreprises. On relève aussi un allègement général des procédures et une généralisation bienvenue des procédures fiscales contradictoires. Les propos de cette interview, en ce qui concerne la pandémie-Covid-19, méritent ovation[9]. Une telle interview n’est néanmoins pas accessible pour nombre de décideurs économiques. Elle ne remplace pas, en toute hypothèse, la documentation écrite.
Dans les documents de la DGI algérienne, on trouve un budget-citoyen[10] expliquant au grand public les principales orientations, à l’aide d’éléments visuels, y compris sur les recettes pétrolières. Il reste que ce budget-citoyen est un outil trop superficiel pour les décideurs économiques, en général ; et celui de l’Algérie est largement abécédaire, avec parfois des développements peu opportuns : le lecteur se voit ainsi infliger un exposé sur la polémique concernant la différence entre le budget et la loi de finances…
Il faut que la loi de finances soit davantage intelligible. Il s’agit-là d’une exigence incontournable pour un pays qui affirme vouloir diversifier son économie. De plus, la transparence est insuffisante ; en effet, l’observateur, même patient, qui voudrait s’intéresser aux éléments de la fiscalité pétrolière algérienne tombe sur une section, à la page 43 de la version française du JO du 31 décembre 2020, mentionnant un déconcertant « pour mémoire »… Il faut véritablement s’obstiner pour arriver sur un article, à la page 61, dans l’annexe A, sur la fiscalité pétrolière : trop compliqué, trop pénible…
Dans une manifestation chatouilleuse de souveraineté, malgré un déficit important de la balance commerciale et une balance courante dégradée, les dirigeants algériens ont décidé d’exclure tout financement extérieur pour faire face. Les importantes réserves financières du pays ont facilité cette expression d’indépendance nationale. Le gouvernement algérien assume donc un déficit budgétaire record, amputant lesdites réserves d’un tiers, environ. Ce choix, et c’est remarquable, a néanmoins obtenu un soutien parlementaire très appuyé, malgré des débats sérieux. Les prévisionnistes algériens ont manifestement tablé sur une reprise naturelle de la croissance dès cette année, avec une projection de 3,98%.
Pour revenir au budget mauritanien 2021, sur le fond, si l’on se fonde sur une comparaison avec la loi des finances rectificative 2020, on relève que la loi de finances initiale pour 2021 représente un léger tassement (-0,04%). Mais si l’on se lance dans un exercice de parallélisme des formes, en ne comparant que les lois de finances initiales, exercice certes un peu artificiel (hors, LFR), on passe d’un peu plus de 54 milliards de MRU en 2019 à un peu plus de 60 milliards de MRU en 2020 et à 70 milliards de MRU en 2021, ce qui est significatif[11].
En tenant uniquement compte de la réalité, censée s’exprimer dans la loi de finances rectificative (LFR), on ne retrouve pas les chiffres de nette progression d’entre 2019 et 2020. Mais il s’agit, en partie, d’un trompe-l’œil.
Même si l’on admettait un tassement des finances publiques mauritaniennes, il serait néanmoins très limité. A ce sujet, les repères internationaux sont fortement contrastés, y compris dans les pays voisins. Ainsi, le Maroc, important partenaire économique de la Mauritanie, présente un budget étatique en nette régression[12] (-6,39%). En revanche, l’Algérie[13] et le Sénégal[14] maintiennent une hausse budgétaire importante, respectivement de +10% et de +8,9%. Quant au Mali[15], le budget est stable à + 0,44%.
Nous estimons que les analyses du FMI sur un risque élevé de surendettement, malgré l’approbation d’une tranche de Facilité Rapide de Crédit en septembre 2020[16], ont pu conduire les autorités mauritaniennes à prendre des décisions augmentant structurellement la pression fiscale. Ces décisions signifient que les autorités publiques souhaitent déjà aller vers une réduction du déséquilibre du compte courant. Ce pari se fait dans un contexte de persistance, voire d’aggravation du climat Covid-19, avec toutes ses conséquences négatives sur le tissu économique,
Le choc planétaire de la pandémie Covid-19 a désorienté les décideurs politiques, surtout dans nombre de pays développés, paradoxalement. Les décideurs étatiques durent souvent naviguer entre la préservation de la santé publique et la sauvegarde du tissue économique. Certains budgets ont été complètement redimensionnés face à cette pandémie. D’autres budgets contiennent des mesures moins exceptionnelles, sous formes d’ajouts ou d’ajustements.
Pour 2021, dans le voisinage de la Mauritanie, seul le Maroc[17] et le Sénégal ont pris des mesures budgétaires extraordinaires, explicitement dédiées à cette pandémie, sous la forme de plans de relance et de titres dédiés. Le Sénégal prévoyant même une réserve financière de précaution. En ce qui concerne l’Algérie, certes, il n’y a pas véritablement de plan de relance anti-pandémie ; mais le déficit très important, dans une optique sociale avouée, n’en n’est pas éloigné. Au Mali, il y avait déjà une sorte de plan de relance, avant la pandémie de Covid-19, sous la forme d’un budget spécial d’investissement. Des adaptations y ont été simplement apportées pour intégrer l’effet Covid-19.
Tous les pays, dans la diversité des mesures, se sont callés sur les prévisions de croissance mondiale relativement optimistes pour 2021 du FMI.
En Mauritanie, la situation budgétaire subit un effet Covid-19 proche du Mali. Les motifs de la loi de finances pour 2021, en donnent une parfaite description, pour ce qui concerne les plus grandes masses.
Durant les débats parlementaires sur le projet de loi de finances, le ministre des finances a longuement rendu compte de la situation du Fonds spécial Covid-19. On retrouve d’ailleurs sur le site de la Banque Centrale de Mauritanie le détail dudit Fonds. Malgré la pandémie et les mesures sociales et sanitaires qu’elle impose, le Gouvernement s’est montré déterminé à préserver, autant que possible, les projections et le fonctionnement budgétaires de l’Etat mauritanien, en s’appuyant sur les indicateurs de croissance mondiale pour 2021.
On percevait déjà cette tendance dans le cadre de l’accord avec le FMI du printemps 2020 intégré au plan de lutte anti-Covid-19. En effet, dans la présentation de la mise en place du Fonds spécial Covid-19, le Gouvernement mauritanien avait déjà clairement indiqué sa volonté de limiter les remaniements et coupes budgétaires, à l’exception du décalage certains éléments du plan triennal. La présentation de la mise en place du Fonds spécial, sur le site de la Banque Centrale de Mauritanie, est explicite à ce sujet :
Le Fonds Spécial de Solidarité Sociale et de lutte contre le Coronavirus est l’instrument public alloué par les autorités publiques mauritaniennes au financement des efforts publics de lutte contre la pandémie de Coronavirus (Covid-19) et pour l’atténuation de ses effets sur l’activité économique et sur le pouvoir d’achat des populations, sur toute l’étendue du territoire de la République Islamique de Mauritanie.
Toutefois, la création de ce Fonds ne sera pas au détriment des projets sociaux et de développement, prévus auparavant par le Gouvernement. Par contre, le rythme d’exécution de ces projets sera accéléré pour accompagner de façon efficace les impératifs de la situation actuelle.
La marge est toutefois étroite.
En effet, on est en présence d’un relèvement important de la pression fiscale, hors produits et services de première nécessité. Or, du fait des difficultés économiques, en raison de la pandémie, il risque d’y avoir un effet courbe de Laffer. Cette courbe décrit le décrochage paradoxal entre les effets recherchés par une hausse de la fiscalité et la réalité des résultats. Certes, pour l’Etat mauritanien, c’est certainement une manière de prendre davantage ses responsabilités en termes de ressources propres, dans la durée, au-delà de l’exercice budgétaire 2021. L’Union européenne et la banque mondiale l’y invitent périodiquement.
Pour le court terme, le pari est que l’impact négatif de la hausse générale de la pression fiscale devrait être contenu par les impressionnantes mesures sociales anti-Covid-19 prises en 2020, en ciblant les ménages défavorisés. Le long terme est plus incertain. Le Gouvernement a largement communiqué sur ce thème, en multipliant les supports.
La circulaire du 9 septembre 2020, en préparation du projet de loi de finances pour 2021, se remarque par des accents de sincérité, en évoquant différentes difficultés liées à la conjoncture-Covid-19. Des ministres ont fourni des explications devant le Parlement, à la presse internationale[18] ou en face du Collectif des Cadres Mauritaniens expatriés, CCME, dont a été tirée une vidéo.
Dans le même sens, un peu avant, en 2020, la Banque Centrale de Mauritanie avait pris des mesures de gel des deposit en MRU pour l’ouverture de crédits documentaires en faveur de biens de première nécessité[21].
D’importants besoins imprévus, liés à la pandémie Covid-19, pourraient néanmoins survenir de nouveau. Une réaction de solidarité des plus aisées sera alors de nouveau sollicitée. Elle fut exemplaire face à la première vague ; les contributions au Fonds de solidarité Covid-19[22] permirent la prise en charge de 200.000 ménages.
L’exposé des motifs de la loi de finances de 2021 pour la Mauritanie affirme qu’il n’y a que deux groupes de nouveautés dans le budget 2021 : la fiscalité des baux et celles de certains actes soumis aux droits d’enregistrements. On peut y ajouter certaines hausses de la fiscalité, spécialement en ce qui concerne une rubrique oubliée de produits et denrées de première nécessité.
A ces trois points qui vont être exposés[23], s’ajoutent une rubrique sur les omissions et un mot sur la fiscalité électronique.
Il s’agit de l’une des nouveautés annoncées par l’exposé des motifs. Dans la rédaction de l’article 309 CGI, on trouve deux taux difficiles à concilier, et nous soulignons :
Lequel des deux textes s’appliquera ?
C’est le premier texte qui s’applique, avec la fiscalité la moins lourde. L’explication en est que les incohérences (ou ambiguïtés) fiscales s’interprètent en faveur du contribuable. Cette solution a été dégagée par la jurisprudence européenne[24]. Elle est transposable à la Mauritanie par sa valeur supra-législative de prévisibilité de l’impôt, laquelle est une composante de la sécurité juridique.
C’est d’ailleurs cette lecture de l’article 309 du CGI mauritanien qui a été retenue par le cabinet Exco-GHA, dans son Code Général des Impôts 2021, aux éditions Droit Afrique. On n’imagine pas que l’éditeur ait décidé un tel choix sans consulter le ministère des finances. C’est l’occasion d’indiquer qu’il s’agit d’un très bel ouvrage indispensable pour la fiscalité mauritanienne ; il est à jour de la loi de finances pour 2021. Il comprend, outre le CGI et le Livre des procédures fiscales : les conventions fiscales de la Mauritanie, le Code des investissements, l’ensemble de la fiscalité minière et pétrolière.
On relève en général une hausse de 35% des droits d’enregistrement (n° de ligne 1331), face à une hausse fiscale moyenne de 25%. Plus que les hausses, ce sont surtout les nouveautés qui attirent l’attention.
Pour simplifier, nous attirons particulièrement l’attention des praticiens sur l’article 3-1-7 de la loi de finances qui modifie l’article 295 CGI. Il faut alors noter, en s’inspirant de la jurisprudence française et de la doctrine fiscale que, par exemple, tout avenant (modification ou ajout au contrat) doit être également enregistré.
Art.295.- Sont obligatoirement soumis à la formalité de l’enregistrement : 1° les mutations d’immeubles ou de droits réels immobiliers ; 2° les mutations de titres de sociétés, de droit au bail, de fonds de commerce ou de clientèle ; 3° les ventes publiques de meubles ; 4° les baux immobiliers et le crédit-bail immobilier ; 5° les contrats de location-gérance ; 6° les partages de sociétés, d’indivisions ou de communautés ; 7° les marchés publics ; 8° les marchés privés 9° les mutations à titre gratuit ; 10° les actes des notaires ; 11° les actes judiciaires ; 12° les cessions et concessions de brevets, marques et autres droits de propriété intellectuelle ; 13° les actes administratifs, les actes extra-judiciaires, les actes des huissiers et les actes des greffiers expressément mentionnés à ce titre.
En Mauritanie, la loi de finances pour 2021 est l’occasion de relever quelques omissions sur des points controversés :
Des professionnels du secteur immobiliers font pourtant valoir, régulièrement, qu’il s’agirait d’un moyen effectif de lutter contre l’important phénomène de dissimulation du prix, dans les transactions immobilières. Mais les autorités publiques opposent plusieurs objections aux arguments des professionnels.
La plupart de de ces objections sont de pure technique de procédure fiscale. Ainsi, l’entourage du Ministre des finances rappelle que l’administration fiscale dispose déjà de plusieurs mécanismes pour lutter contre les dissimulations de prix : un droit de préemption, des procédures de redressement et des procédures d’office. Toutes sont détaillées dans le Livre des procédures fiscales issu de la loi n° 2019-018 du 20 avril 2019, portant Code Général des Impôts.
Une autre objection est sociologique. Les autorités publiques mauritaniennes considèrent que la mesure proposée ne recueille pas, pour le moment, un consensus social suffisant. Elles laissent aussi entendre qu’en se montrant plus royalistes que le Roi, les professions réglementées chercheraient surtout accélérer la disparition de certains intermédiaires semi-informels. Or, selon l’Administration, l’activité de ces intermédiaires se situe dans un cadre d’extinction que l’on n’a pas besoin de brusquer. Affaire à suivre, sans aucun doute…
L’Administration semble néanmoins avoir parié sur une normalisation sur le long terme, une fois les effets de la conjoncture Covid-19 effacés. Le montant de 100 MRU de droit fixe ne devrait donc pas changer.
Se pose alors en pratique un problème de double imposition. Si les actifs sont liquidés à travers une cession plus ou moins globale, liquidation dont le produit est ensuite partagé par les héritiers, l’Administration estime pouvoir percevoir deux fois des droits. Or la cession par des héritiers n’est pas un acte de partage. C’est un acte de saisine en tant que successeurs ; il fait simplement présumer l’acceptation de la succession, sauf nécessité conservatoire. C’est uniquement l’appropriation des fonds (le produit de la cession) qui devrait être prise en compte, pour la taxation.
Cela rappelle les polémiques qui avaient existé historiquement en France quand certains percepteurs considéraient l’échange comme une double vente…
Il va peut-être falloir inaugurer en Mauritanie la pratique des réponses ministérielles ou des rescrits, car il s’agit davantage d’une question d’interprétation que de loi.
Des exonérations et autres mesures de faveur sur les biens de première nécessité ont été prises dès 2020, en rapport avec la pandémie ; elles furent naturellement très bien accueillies. Toutefois, il semble qu’il y ait un oubli important pour la loi de finances de 2021 ; en effet, le numéro de ligne 1445 indique une hausse de 35% sur le sucre, le thé et le tabac. Mis à part l’intitulé autre taxes qui est mystérieux, il nous semble que, contrairement au tabac, le sucre et le thé devraient être comptés parmi les denrées de première nécessité et bénéficier d’une fiscalité de faveur sur tous les postes.
L’Administration mauritanienne avait communiqué, en 2019, sur la possibilité d’effectuer des télédéclarations, annonçant pour bientôt le télépaiement. Il apparaît que l’arrivée de la pandémie a repoussé la mise en place effective des mesures annoncées.
Paradoxalement, la même pandémie sera certainement l’occasion d’un sérieux coup d’accélérateur en matière de digitalisation. Désormais, tous ont conscience de la nécessité d’améliorer fortement l’infrastructure et les pratiques de communications électroniques. C’est un point sur lequel le docteur Samba Thiam, expert du CCME, a particulièrement insisté durant son intervention durant du symposium dématérialisé sur les lendemains de la crise sanitaire. La fiscalité n’y échappe pas, d’autant que, dans le groupe de pays comparés, la Mauritanie est, avec le Mali, en retard.
______________________________________________________________________