Actualité publiée en septembre 2020
Maître Thioye SOW, notaire à Nouakchott, Secrétaire général de l’Ordre National des Notaires de Mauritanie
Maître Patricia SUID VANHEMELRYCK, avocat à Nice,
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NB : en annexe, liste officieuse de pays acceptant ou non la circulation internationale des actes de divorce sans juge
La présente note d’actualité est un complément pratique et théorique séparé de notre article dans le présent site : CIRCULATION INTERNATIONALE DU NOUVEAU DIVORCE FRANCAIS SANS JUGE : UE, TUNISIE, ALGERIE, MAROC.
Une partie de cette actualité concerne le décret n° 2019-1380 du 17 décembre 2019 relatif à la procédure applicable aux divorces contentieux et à la séparation de corps ou au divorce sans intervention judiciaire. Pour dire vrai, l’apport de ce décret pour notre sujet principalement internationaliste et « sans intervention judiciaire » est maigre. Nous ne le présentons donc que schématiquement.
L’autre partie est l’actualisation du thème de la circulation européenne ou internationale du divorce sans juge, à travers les revues juridiques.
Ce décret relativement court est une mise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, dite de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; cette loi, à son tour, est largement une prolongation de la loi dite J. 21, n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.
Comme l’indique sa notice préliminaire intégrée, soigneusement rédigée selon une heureuse habitude acquise depuis une quinzaine d’années, ce décret bouleverse surtout la procédure contentieuse, dans son chapitre premier, en supprimant la requête unilatérale et en apportant des précisions sur l’oralité de la procédure.
Une partie du chapitre deuxième du décret, sur les procédures sans juge, apparaît un peu étrange en ce qu’elle consiste à introduire une précision (coordination selon les termes de la notice) qui semblait aller de soi, sans cependant aller au bout de cette logique : les parties pourront, dans les procédures sans intervention judiciaire, procéder à la séparation de corps. Mais ne le pouvaient-elles déjà pas, compte tenu de la procédure de divorce et en vertu du principe dispositif désormais largement applicable à l’état des personnes ? Sans compter le brocard qui peut le plus peut le moins ? (Contra, Solange Mirabail, Déjudiciarisation du divorce et de la séparation de corps : une réforme inachevée, Gaz. Pal. 10 mars 2020, qui estime qu’avant le décret, la séparation de corps restait exclusivement judiciaire). Et est-donc à dire que pour la séparation amiable des biens il faudrait aussi attendre un autre décret de coordination ?
Les précisions sur la signature électronique en matière de procédure « sans intervention judiciaire » sont en revanche plus intéressantes pour la pratique ; et le nouvel article 1145 du code de procédure civile imposera une sérieuse période de rodage, spécialement en relation avec l’état liquidatif ou son projet.
De nombreux commentaires ont accueilli la publication du décret. Sur son chapitre 1er (procédure contentieuse) ; par ailleurs, une réponse ministérielle bienvenue apporte une réponse apaisante sur l’importante question pratique du calendrier du projet liquidatif : rép. min. n° 19958 : JOAN, 24 déc. 2019, p. 11410. On peut lire :
Sur le chapitre 2 du décret (procédure sans intervention judiciaire), on lira :
Pour ce qui est des passerelles entre procédure purement contentieuse et procédure sans intervention judiciaire, nous renvoyons, en partie, à notre étude CIRCULATION INTERNATIONALE DU NOUVEAU DIVORCE FRANCAIS SANS JUGE : UE, TUNISIE, ALGERIE, MAROC.
A partir du 1er septembre 2020, il faudra y ajouter les nouvelles modalités de la mise en état participative. A cet égard, il faut reproduire le futur texte du nouvel article 1123-1 CPC ;
Art. 1123-1.-L’acceptation du principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci peut aussi résulter d’un acte sous signature privée des parties et contresigné par avocats dans les six mois précédant la demande en divorce ou pendant la procédure.
« S’il est établi avant la demande en divorce, il est annexé à la requête introductive d’instance formée conjointement par les parties. En cours d’instance, il est transmis au juge de la mise en état.
« A peine de nullité, cet acte rappelle les mentions du quatrième alinéa de l’article 233 du code civil.
D’une façon générale, les praticiens auront également à digérer l’accumulation et la compatibilité de nouveaux textes qui se recoupent en partie, comme le fait le décret n° 2019-1419 du 20 déc. 2019 relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions, avec le nouveau texte sur le divorce, sans compter l’ensemble des bouleversements liés à la création du tribunal judiciaire. Les modalités d’entré en vigueur étalées limiteront certainement l’overdose. Mais elle contribue parfois à une réelle complexité qui imposera des vérifications minutieuses jusqu’en 2021, voir 2022, si l’on ajoute le Règlement communautaire Bruxelles II ter.
Plusieurs articles commentent les positions et réactions de la Chancellerie devant les difficultés du divorce sans juge en Europe ou à l’international. Quelques-uns évoquent le divorce sans juge en Europe, en général.
L’article de Laurence Usunier attire notre attention sur le Règlement UE 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants. Nous avions évoqué ce règlement, dit Bruxelles II ter, dans notre étude CIRCULATION INTERNATIONALE DU NOUVEAU DIVORCE FRANCAIS SANS JUGE : UE, TUNISIE, ALGERIE, MAROC. Il était rappelé que son entrée en vigueur en 2022 laissait une période de véritable torture pour la circulation du divorce sans juge français. Le commentaire à la RTDC observe que ce divorce est de plus en plus commun dans différents pays européens. Cela pourrait donc accélérer la circulation du nouveau divorce français par le principe d’équivalence des solutions, en droit international. Il faut aussi noter l’importance de la Convention de Singapour (Nations Unies) sur les accords de règlement internationaux issus de la médiation du 7 août 2019. Elle a connu un succès sans précédent pour la rapidité de son adoption et par l’enthousiasme massif de la signature des instruments, selon l’annotateur. Il faut en tenir compte pour les praticiens du divorce et des autres matières en ce que son évolution pourra être évoquée par analogie en cas de difficulté impliquant des parties ou des autorités étrangères, en se référant aux technique du droit des traités internationaux pour évoquer une position coutumière.
Nous recommandons ces deux articles courts de Maître Alexandre Boiché : l’un fait le tour de la question du divorce sans juge et aborde le sujet des pensions alimentaires, y compris de leur modification, envisagée à un moment sous l’autorité du directeur de la CAF ou de la MSA (points désormais caduques). Le début de l’article, à la suite d’une réponse ministérielle n° 01245, JO Sénat 20 déc. 2018 est peu amène : « Le premier mot qui nous vient à la lecture de cette réponse ministérielle est : « Vraiment ? ». L’autre article critique l’absence de culture internationale de la Chancellerie.
L’excellente chronique de droit de la famille du JCP notarial, tenue par Christophe Lesbats (du CRIDON) a évolué en intégrant massivement le divorce sans juge. Précisons que plusieurs des alinéas de la livraison citée traitent de passerelles entre divorce judiciaire et divorce sans juge. A consulter absolument, malgré la présentation de style « magazine » …
Ce petit article pratique de Maître Clémence Dellangnol, si on laisse de côté des anecdotes amusantes (contrôle des cartes professionnelles d’avocat par un notaire), indique aux avocats des pistes pratiques à suivre :
L’article de Miren Lartigues fait le point dans la perspective des avocats : il reste d’intérêt après les décrets ultérieurs. L’article reprend plusieurs déclarations d’autorités ordinales du Barreau qui sont parfois approximatives. Ainsi, il est affirmé que d’une manière générale l’acte contresigné par l’avocat ne change rien en termes de responsabilité civile professionnelle
[C]ar la jurisprudence considère déjà que la responsabilité de l’avocat-conseil et rédacteur d’actes est pleinement engagée même sans sa signature
Cette affirmation doit être au moins triplement nuancée :
Par ailleurs, l’auteur de l’article rêve d’une exportation de l’acte d’avocat à l’étranger. Il s’agit d’une erreur de perspective nombriliste qui ne prend pas en compte le fait que dans les pays anglo-saxons, il n’y a pas fondamentalement de distinction entre avocat et notaire (sauf le rôle particulier des barristers au Royaume-Uni). La notion d’acte d’avocat y est donc séculaire. Dans les autres pays de droit civil comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, les tiers institutionnels sont déjà tenus traditionnellement d’accorder une importance particulière à l’intervention de l’avocat sous toutes ses formes, y compris dans leur organisation. Ainsi, contrairement à la France, les grandes administrations ont toutes des bureaux de réception de l’avocat, par exemple, en matière fiscale ou en matière de procédure des étrangers. Il faut relever qu’en France, depuis la Révolution et l’Empire, la relation entre l’Etat et les avocats est largement faite de mépris ; du coup, on semble s’émerveiller facilement de évolution qui aboutirait à ce qui est considéré comme la moindre des choses à l’étranger. Un exemple du manque de prestige de l’avocat en France est que, par exemple, on n’y connaît pas la pratique de lettre d’appui ou de confort de l’avocat pour l’obtention d’un crédit par les établissements financiers. De ce point de vue, même en restant dans la sphère du droit civil français, la pratique hexagonale aurait à apprendre de la considération dont bénéficient les avocats au Maghreb ou dans la zone Ohada.
Il faut s’arrêter sur le compte-rendu de Madame Catherine Burban qui contient plusieurs points et conseils particulièrement intéressants, pour les praticiens :
Terminons sur une note divertissante. Avec, en dernier lieu, le décret du 17 décembre 2019, les procédures participatives commencent à être inscrites dans les mentalités hexagonales. Les juristes français peuvent partiellement s’inspirer d’une procédure participative américaine fidèle à la réalité outre-Atlantique, en revoyant le film à succès A Civil Action (en France Préjudice), avec John Travolta.
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Annexe : liste de pays acceptant ou non la circulation internationale des actes de divorce sans juge
liste officieuse de pays acceptant ou non la circulation internationale des actes de divorce sans juge
La liste ci-dessous a été établie d’après les échanges répertoriés sur Facebook par le groupe de praticiens Familialistes. Si pour un pays vous trouvez deux solutions différentes, cela signifie que les confrères n’étaient pas d’accord entre eux.
Maître Patricia SUID et Maître Thioye SOW ont transformé les OUI/NON concernant le Maroc et la Tunisie en OUI, compte tenu d’une circulaire au Maroc et de la jurisprudence tunisienne
Le présent tableau a vocation à être mis à jour en régulièrement. A partir d’août 2022, l’entrée en vigueur du règlement Bruxelles II, ter, généralisera l’acceptation des actes de divorce sans juge dans l’espace européen.
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