Sidy Sissokho
Revue Tiers Monde 2015/4 (n° 224), pp 83-102
Note de lecture de la Rédaction de France Ohada droit, octobre 2016
Voici un très bel article de sociologie du syndicalisme dans le secteur informel (en réalité, semi-informel, compte tenu de l’octroi de licences de transport). Il avait échappé à l’attention de notre revue ; son thème concerne les « regroupements de chauffeurs », tels que l’on désigne les professionnels du transport routier de personnes au Sénégal depuis sa libéralisation et son émiettement dans les années 80.
En s’appuyant sur une minutieuse enquête de terrain, l’auteur développe une thèse paradoxale (contre-intuitive, selon ses termes). Plutôt que d’activité syndicale, la représentation dans les gares routière serait en réalité du courtage auprès de l’administration, dans des conditions de relative collusion… Du coup, apparaît le paradoxe de cette liberté d’organisation réelle des membres d’un secteur privé informel pour assurer l’organisation du service public (si l’on accepte cette catégorisation française employée par l’auteur) des gares routières au Sénégal. En réal!ité, c’est bien souvent l’administration étatique ou locale qui tire les ficelles ; cela se voit ne serait-ce que dans la mise à disposition de certaines infrastructures et en favorisant tel courant ou telle personne.
Les élections à la présidence des gares routières, localement désignées par le terme de garages, sont un grand moment : plusieurs administrations étatiques ou locales sont représentées, police et/ou gendarmerie veillent et les partis politiques sont parfois impliqués. Le jour du vote, les « chauffeurs » déposent « leurs permis » (de conduire ou la licence de transport ?) dans l’urne désignant le candidat choisi ; du coup, ils doivent attendre sur place la fin du processus pour récupérer le précieux document, ce qui créé une ambiance de kermesse.
On ne partage pas forcément les conclusions de l’auteur qui attribuent à l’administration une influence déterminante dans le choix de la représentation dans les gares routières. Pour le lecteur étranger, l’analyse de cette mécanique bien rodée permet surtout de comprendre pourquoi les élections politiques (spécialement la présidentielle) au Sénégal restent l’exemple pour les pays d’Afrique francophone. L’article mérite de figurer en exergue d’une revue de droit des affaires en raison de l’importance de l’organisation de ces gares routières dans l’économie nationale des pays d’Afrique intertropicale.