Blaise Gnimassoun
Revue d’économie politique 2019/3, pp 355-390
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Note de lecture par Faustin Ekollo, docteur en droit
Publiée en octobre 2019
Dans ce titre, certains lecteurs auraient eu du mal à reconnaître, en partie du moins, le thème désormais populaire du débat sur le franc CFA. Mais le doute est levé dès la première phrase de l’article : [l]e régime de change a-t-il un impact sur la croissance économique ?
Oui, par ce titre sibyllin, l’auteur s’est manifestement efforcé de rester dans la ligne des thèmes purement techniques[1], peu susceptibles de soulever des passions du grand public, au point de choisir un intitulé difficile à rattacher à la question passionnelle du franc CFA, à première vue. Tant par l’affichage que par le contenu, on est loin des travaux au vitriol, avec des titres provocateurs, de Kako Nabukpo[2] ou des choix polémiques d’un Pierre Jacquemot[3].
Dans ce très intéressant article d’économétrie, pas toujours digeste pour ceux qui n’ont pas de culture des courbes (équations surtout), l’auteur répond par des nuances en débarrassant soigneusement son texte de toute controverse. Il opère une large comparaison entre l’UEMOA (parfois CEDEAO) et la CEMAC (et la ZMAO), avec avantage à la première. Entre autres, il relève une intégration réelle des populations avec des facilités migratoires et une importante proximité entre cadres économiques des différents pays de l’UEMOA. Parfois, des éléments de comparaison concernent d’autres unions que la CEMAC ou la ZMAO ; ainsi, l’auteur s’étonne que les taux douaniers intra-UEMOA soient deux fois plus élevés que ceux des pays de l’association du Sud Est asiatique, l’ASEAN.
S’agissant de la croissance à proprement parler, l’analyse est essentiellement négative. Mais de sérieuses précautions d’expression et des nuances l’accompagnent. On a l’impression que pour éviter de s’engager dans le débat public sur le franc CFA, le travail ne retient que des éléments consensuels, un peu abusivement qualifiés de classiques. L’auteur rappelle, certes, certains points inévitables ou convenus au sujet du CFA, sans toujours argumenter : « l’inconvénient majeur à l’échelle d’un pays reste l’abandon d’une partie de ses instruments de politique économique ». Il exprime aussi le regret d’une politique de change du CFA qui est complètement exogène.
Ce travail classique, si l’on accepte la terminologie de l’auteur, retient ensuite des fondamentaux de la croissance qui associe cinq éléments… et l’auteur met l’accent sur un de ces élément de diagnostic pour en déduire que c’est une intégration insuffisante qui explique essentiellement la faible croissance. Cette conclusion laissera sceptiques les jeunes « panafricanistes » qui trouveront, immanquablement, que l’analyse est largement diplomatique.
On peut ajouter que l’auteur, qui en a très largement les moyens, ne fait pas d’effort pour distinguer les notions de croissance et de développement. Par exemple, après avoir rapidement examiné des points relatifs à la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, il exécute en une portion de phrase l’effet « croissance-améliorant » qu’il renvoie au commerce international. Il procède de la même façon après un tour des modèles de croissance, y compris en ironisant sur le « vrai » modèle de croissance, et après avoir signalé les variantes endogènes du modèle de croissance de Solow. Ces petites réponses en creux à l’actualité sont un véritable pied de nez au lecteur africain ; le message est que l’auteur ne compte absolument pas sortir des schémas et analyses classiques pour une actualité à laquelle il n’accorde pas beaucoup d’importance.
Son travail est néanmoins cohérent. Il propose, en guise de solution aux difficultés de croissance, un schéma précis :
Nous suggérons donc un plan colossal d’investissement pour combler le déficit des infrastructures de transport entre les pays. Ce plan pourrait être financé par une taxe spéciale sur les importations de véhicules dans l’unique but de financer ces infrastructures.
Mais les ressources suggérées semblent être à la fois peu réalistes et insuffisantes, compte tenu de l’ambition d’un “plan colossal d’investissement”. L’idée apparaît comme une adaptation des programmes de grands travaux autoroutiers et d’équipement que l’on a vu dans certains pays d’Europe (et aux USA) dans les années 1930 d’abord, puis 1980-2000. Une première différence réside dans un glissement de la taxe. Mais dans ces pays européens dont le tissu économique était mature, les taxes autoroutières (tous les pays ne les pratiquaient pas, de surcroît) étaient largement supportables dans le principe comme dans les taux. Dans l’Afrique subsaharienne, nombre d’articles de la fiscalité reposent déjà sur une assiette excessivement étroite. Vouloir surcharger davantage les automobilistes qui n’en peuvent déjà plus ne semble pas une bonne idée, surtout s’il s’agit d’asseoir sur eux la totalité de la charge théorique.
On ajoute que les retombées économiques et financières projetées donnaient aux projets européens un tour systématiquement rentable à moyen terme. Et il ne faut pas oublier que ces programmes sur fonds publics faisaient face à des crises économiques. Rien de tel en En Afrique UEMOA où le retour sur investissement est attendu sous la forme très vague d’une accélération du développement et de la croissance.
Au minimum, élargissement et diversification s’imposent dans le financement théorique de ces idées. Il devrait être possible d’associer des recettes fiscales spéciales à d’autres ressources, non fiscales. Peut-être qu’en s’inspirant de la réussite des social impact bonds en Amérique latine on peut envisager l’idée complémentaire que de tels travaux se fassent également sur la base d’un financement populaire massif (emprunt obligataire).
Une telle proposition n’est pas une confusion oublieuse de la distinction ressource–financement (ou emploi). Simplement, les populations africaines pourraient accepter d’investir dans leurs infrastructures dans des conditions de retour modéré, si elles perçoivent assez clairement la légitimité et la réalité des projets. Le facteur temps (inflation, même légère) serait alors un avantage supplémentaire pour les Etats. redisons que les récentes expériences latino-américaines en matière de Social Impact Bonds (obligations à impact social) peuvent servir d’exemples. Certes, il y a en Afrique subsaharienne une moindre culture financière et le sens de l’intérêt général est encore largement un vague projet… De plus, les cadres africains ont tendance, en guise de solutions, à réciter trop systématiquement des éléments tirés des « bibliothèques coloniales », pour emprunter la belle formule vulgarisée par les historiens Achilles Mbembé ou Valentin Mudimbé.
Le travail de M. Gnimassoun n’en reste pas moins très stimulant. Pour la prochaine fois, on lui demandera un supplément d’engagement par rapport aux préoccupations africaines du moment et davantage de références venant d’auteurs des pays du Sud ou de statistiques d’origine locale.
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