BICC n° 848, 1er oct. 2015, open access
BICC n° 849, 15 oct. 2016, open access
Gérard Ngoumtsa Anou Chronique d’actualité du droit Ohada, Rev. Lamy droit civil n° 143, 1er déc. 2016
Faustin Ekollo, note de lecture publiée en mars 2017
Nous invitons avec insistance les théoriciens et praticiens Ohada à lire ces encadrés (« En quelques mots ») des numéros du Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC) rapportés. Ils résument la révolution de la motivation qu’effectue actuellement la Cour de cassation française, sous ses trois principaux aspects : prise en compte explicite du principe de proportionnalité, revirement pour l’avenir et effort de justification de la décision (véritable motivation), en attendant une réforme statutaire qui autorisera une sélection des pourvois en cassation (avant-projet circulant depuis deux ans).
Le premier encadré cite et commente une note que nous avions signalée dans la veille de mai-juillet 2016 [1]; cet encadré du BICC souligne l’évolution récente des techniques de motivation de la Cour de cassation, s’appuyant explicitement sur doctrine et jurisprudence et essayant de justifier ses choix, autant que faire se peut, y compris sur les terrains sociologiques ou économiques ; cette évolution mérite une chaleureuse approbation et doit être reprise sans aucune réserve par les juridictions de culture civiliste de la zone Ohada ;
Le second encadré commente le recours officiel à la technique dite du revirement pour l’avenir dont l’idée avait été développée naguère par Christian Mouly[2] ; désormais, la technique relève du droit positif par l’effet d’un arrêt de la première Chambre de la Cour de cassation auréolé de la mention PBRI[3] :
Attendu qu’en l’espèce, les assignations délivrées à la requête de la société et des consorts X… visent l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, mais non l’article 32 de la même loi ; que, dès lors, à défaut de mention du texte édictant la peine applicable aux faits de diffamation allégués, ces assignations encourent la nullité ;
Attendu, cependant, que, si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu’il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s’il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste ; que les assignations en cause, dont les énonciations étaient conformes à la jurisprudence de la première chambre civile, ont été délivrées à une date à laquelle la société et les consorts X… ne pouvaient ni connaître ni prévoir l’obligation nouvelle de mentionner le texte édictant la peine encourue ; que, dès lors, l’application immédiate, à l’occasion d’un revirement de jurisprudence, de cette règle de procédure dans l’instance en cours aboutirait à priver ces derniers d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en leur interdisant l’accès au juge ; qu’il n’y a donc pas lieu d’annuler les assignations ;
Le professeur Fourment s’est demandé si cette nouvelle technique de motivation n’allait pas priver la doctrine d’une partie de son activité[4]… Non, cette évolution va imposer à la doctrine une plus grande exigence de qualité ; on ne devrait plus voir, de la part de plumes autorisées, l’affirmation qu’une solution est évidente alors qu’il existe une divergence entre des chambres de la Cour de cassation ou qu’on juge différemment en Belgique sur le fondement de textes identiques ; on devrait aussi voir davantage d’appréciations transversales, impliquant la comptabilité, l’économie, le droit comparé ou l’histoire.
Certes, les interrogations ne manquent pas quant à la prohibition des arrêts de règlement ou quant à la remise en cause de spécificités du droit français ; elles nous semblent secondaires, bien qu’une minorité importante de la doctrine française soit vent debout contre ces réformes[5].
A la vérité, ces évolutions de la Cour de cassation étaient inévitables. Avec les réformes actuelles du Code civil, elles prennent en compte les critiques de la Banque mondiale à l’encontre du droit civil, moins favorable au commerce que la common law. Certes, les premières réactions de la doctrine française, comme de l’Etat, furent de déni passionné ; voir un échantillon dans le numéro de l’Association Capitant (2006)[6]. Mais, même les juges de la Cour de cassation ont fini par admettre, mezza voce, que les techniques de motivation traditionnelles de la Cour de cassation n’étaient simplement pas à la hauteur, dans un monde où les moyens de communication permettent désormais de comparer. On lira à ce sujet une étude du Service de Documentation des Etudes et du Rapport de la Cour de cassation (SDER) intitulée: Motivation des arrêts de la Cour de cassation, en libre accès avec d’autres travaux sur la question (y compris le discours d’audience d’installation du premier président, B. Louvel) sur le site de la Cour de cassation.
Il reste maintenant à introduire la technique de l’opinion minoritaire ou séparée (voire concourante), pour mettre fin au côté monolithique et politburo des arrêts français[7].
Pour le reste, on ne peut qu’encourager les juges de droit civil de la zone Ohada à emboiter le pas à la révolution de la Cour de cassation française, en matière de motivation. D’ailleurs, il semble que la jurisprudence Ohada n’a pas attendu la révolution de la Cour de cassation française. En effet, selon Gérard Ngoumtsa Anou qui cite de nombreux exemples (Chronique d’actualité du droit Ohada, Rev. Lamy droit civil n° 143, 1er déc. 2016), la CCJA s’inspire de la règle du précédent de la common law ou de la CJUE pour justifier ses positions ; elle motive alors ses décisions au regard de sa propre jurisprudence constante. La chose est étonnante « pour un système fondamentalement civiliste comme celui de l’OHADA ». L’auteur regrette seulement que la CCJA ne cite pas les arrêts qui constituent cette jurisprudence constante, sa motivation gagnerait en cohérence et en clarté.
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Publié in France Ohada droit, notes de lecture, mars 2017 ↑